La nièce de Hitler
Heinrich
Hoffmann d’un air indifférent.
— Un instant, dit Hitler.
Cherchant à faire la paix avec sa nièce, il
retourna dans l’immeuble. Et son photographe le suivit, au cas où sa médiation
serait nécessaire.
Geli accueillit le Führer sur le seuil de l’appartement,
et demanda encore, d’une voix douce :
— S’il vous plaît, vous me laisserez
aller à Vienne ?
Elle eut un frisson lorsqu’il lui caressa
gentiment la joue, puis elle sentit qu’il se laissait fléchir.
— D’accord, petite princesse. Tu pourras
partir dès mon retour.
Elle sourit.
— Au revoir, oncle Adolf. Au revoir, Herr
Hoffmann.
Et les hommes partirent pour Hambourg. Elle
ferma la porte d’entrée et vit la vieille Frau Dachs dans le couloir, qui s’avançait
avec un plateau contenant une cuillère et un bol de soupe de pommes de terre.
— Vous en voulez ? demanda-t-elle.
— Je me ferai à dîner.
— Comment ?
Geli secoua exagérément la tête.
— Bon, je vais dans mes appartements, dit
la vieille dame. Ne veillez pas trop tard.
Elle se promena dans
Prinzregentenstraße sous les zéphyrs tièdes du föhn, acheta une bouteille de
Liebfraumilch bien frais, un morceau de gouda, et un bouquet parfumé de
freesias jaunes dans un cornet de papier paraffiné ; elle les disposa
ensuite soigneusement dans un vase de Dresde qu’elle posa sur sa commode
blanche, à côté de la photographie encadrée de Muck, son berger allemand
préféré. Elle emporta un verre de vin dans le vestibule et s’assit sur le
parquet pour téléphoner à Elfi Samthaber et bavarder gaiement de la mode d’automne
qu’elle avait vue dans Die Dame, avant de promettre de rappeler samedi. Elles
pourraient peut-être aller au théâtre. Elle mangea du fromage et des biscuits
et écouta Radio Berlin en se vernissant les ongles. Elle feuilleta des
magazines. Elle s’installa à son bureau et sortit une feuille de papier à
lettres bleu Wedgwood avec « Angelika Raubal » imprimé en écriture
anglaise dans le coin supérieur gauche. Elle commença une lettre amicale à
Ingrid von Launitz. Elle écrivait, tête baissée, lorsqu’elle entendit la porte
d’entrée s’ouvrir en catimini et se refermer très doucement. Elle regarda le
réveil Longines près de son lit. Onze heures et demie.
— Maria ? appela-t-elle.
Pas de réponse. Elle prit peur.
Le mystérieux personnage semblait se tenir
immobile, comme s’il essayait de voir si d’autres personnes étaient éveillées. Puis
il avança dans le couloir. Elle regarda fixement sa porte, mais entendit les
chaussures de l’intrus marcher sur le tapis et entrer dans le bureau. Elle
entendit un tiroir céder quand il tira dessus, puis grincer et heurter la butée
quand il le ferma d’un coup de cuisse.
— Mon oncle ?
Silence. Était-il en train d’hésiter ? De
vérifier son reflet dans le miroir ? Elle avait toujours le stylo à la
main. Elle le lâcha. Elle reboutonna sa robe et enleva une mèche de cheveux de
son visage. C’est alors qu’elle vit la poignée de cuivre de sa porte se baisser
doucement et la haute porte de chêne s’ouvrir comme la page d’un vieux livre.
Et Hitler se matérialisa, impassible et sombre,
toujours vêtu de son beau costume bleu, légèrement penché en avant, les mains
derrière le dos, les sourcils froncés. Il avait l’air d’un banquier qui, cherchant
la sortie d’un théâtre, se retrouve sur la scène. Son visage était blême. Sa
mèche pendait. Il semblait plein de phrases et d’émotions rentrées. Les braises
de leur dispute brûlaient encore sous la cendre.
— Vous ne deviez pas aller à Hambourg ?
— Nous nous sommes arrêtés à Nuremberg. Nous
nous sommes installés à l’hôtel Deutscher Hof, et Schaub m’a emmené à la gare.
— Pour quoi faire ?
Il se contenta de la dévisager un instant, un
faux sourire à la bouche. Des couteaux dans les yeux. Puis il détourna le
regard.
— Qu’est-ce que tu écris ?
— Une lettre.
Et tout en sachant qu’elle ne ferait qu’augmenter
sa curiosité, Geli se surprit à replier les bras sur la page.
Hitler s’avança d’un pas tranquille, comme un
professeur méfiant qui recherche les auteurs d’une rébellion dans sa classe.
— À qui ? Tu connais quelqu’un loin
d’ici à qui écrire ?
— Ingrid. À Vienne.
Elle s’écarta tandis qu’il faisait le tour du
bureau. Il s’appuya familièrement contre elle, et elle lui laissa la
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