La nièce de Hitler
était en route pour venir la chercher.
Angela raccrocha et eut un coup au cœur en
voyant le visage de sa fille.
— Il a changé d’avis une fois, il
changera peut-être encore, dit-elle dans une piètre tentative de réconfort.
Geli pleurait de rage.
— Nous pourrions partir tout de suite
pour Salzbourg, proposa-t-elle. Schaub ne sera pas là avant une heure, et d’ici
là je serais sur la route de Vienne.
Angela la prit dans ses bras.
— Il paraît qu’il y a des nazis là-bas
aussi, lui dit-elle.
Elle enrageait sur
le siège avant de la Mercedes, tandis que Schaub ramenait la fugueuse à Munich.
Les bras obstinément croisés, elle regardait d’un air furibond des ciels gris
comme des couvertures de prison et des champs de foin balayés par le föhn, ce
vent du sud humide et chaud. Un fermier attendait sur une faucheuse et un
ouvrier agricole tenait les harnais d’un attelage pendant qu’une vieille femme,
vêtue d’une robe qui avait tout du linceul, se hâtait vers eux en traînant les
pieds, chargée de sacs à provisions si pleins de nourriture que ses doigts
semblaient prêts à se détacher de ses mains.
— On dirait moi, dit Geli à Schaub.
Avec son sérieux habituel, Schaub observa la
femme et conclut que Geli plaisantait.
— De nombreuses femmes seraient toutes
prêtes à prendre votre place, dit-il.
— Qu’elles le fassent. Chacune son tour.
— Tout n’est pas si mal, dit Schaub.
— Je suis enchaînée.
— C’est un slogan communiste ! s’exclama-t-il
d’un ton dédaigneux. En fait, poursuivit-il, les yeux intensément fixés sur la
route, les gens ne savent pas quoi faire de la liberté. Choisir les perturbe. Ils
errent sans but. Ils n’en retirent que des migraines et des dettes. Ils ont
besoin d’un Hitler pour penser à leur place et leur dire quoi faire. Pour les
forcer à le faire, s’ils ne sont pas d’accord.
— Et c’est lui qui vous a dit ça ?
— De toute façon, il a raison, répondit
Schaub. Le Führer a toujours raison.
Elle soupira.
— Vous êtes désespérants. Tous autant que
vous êtes.
Schaub eut l’air sincèrement dérouté.
— Mais nous sommes pleins d’espoir, au
contraire !
À force, elle finit par s’endormir. Elle se
réveilla devant l’appartement de Prinzregentenplatz pour voir son oncle, debout
près de la voiture dans son uniforme de Chemise brune, qui la regardait par la
vitre d’un air inquiet. Toujours attentif au moindre détail la concernant, il
sembla remarquer qu’elle s’était débarrassé de la croix gammée en or qu’il lui
avait offerte, et qu’elle portait à présent une croix.
— Tu vas bien ? demanda-t-il.
Elle ne répondit pas. Elle ouvrit la portière
et descendit de voiture. Elle sentit sa moustache la piquer lorsqu’il déposa un
baiser conventionnel sur sa joue.
— Comment puis-je être le Führer d’une
grande nation si ma propre nièce ne m’obéit pas ? demanda-t-il dans un
murmure.
— Mais je ne fais que ça, vous obéir !
— Oh, mais tu te sers de tes artifices
féminins, c’est ainsi que les femmes désobéissent.
Évitant de la toucher, Hitler s’assit à la
place de Geli.
— Je dois préparer un discours, lui dit-il.
Nous allons à Hambourg demain pour lancer ma campagne présidentielle.
— Nous ?
— Enfin, pas toi.
Geli était outrée.
— Vous m’avez fait revenir pour pouvoir
partir ?
Hitler ne voyait pas où était le problème.
— Comme ça, je saurai où tu es.
— Dans l’appartement, toute seule.
Schaub avait posé la valise de Geli sur le
trottoir. Sans se retourner, Hitler lui cria :
— Schaub ! Vous êtes libre, ce soir ?
— Si vous le souhaitez.
— Emmenez votre femme et ma nièce au
cinéma.
Alors il sourit, comme si, en un éclair, il
avait tout résolu ; il s’en étonnait lui-même.
Comme elle savait qu’Hitler
désapprouverait, elle insista pour que les Schaub l’emmènent voir M le
maudit, un film de Fritz Lang avec Peter Lorre dans le rôle d’un assassin d’enfants.
Par la suite, Schaub affirma que sa femme avait remarqué que Geli était « inattentive,
triste, pratiquement au bord des larmes ». Les deux femmes étaient allées
chercher du chocolat au stand de confiserie, et elle avait demandé à Geli ce
qui n’allait pas, mais Geli n’avait pas voulu lui faire de confidences, se
contentant de lui dire qu’elle était « contrariée ». Après le film
Schaub dut retourner à la
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