La nièce de Hitler
l’appartement
miteux de Franz Xaver Schwarz, le trésorier du parti. Geli trouva l’endroit
laid et vieillot, et Hitler l’approuva, mais ce n’était que le début de ses
déconvenues. Un appartement près de la Hauptbahnhof fut rejeté par Hitler parce
que beaucoup trop bruyant. Un autre, il en était persuadé, serait froid en
hiver ; pour le quatrième, l’idée de gravir tant d’escaliers le rebuta ;
quant au cinquième sur la liste de Rudi, il décréta qu’il empestait encore le
locataire précédent.
Ils n’étaient pas loin du café Heck, dit-il en
consultant sa montre, il avait chaud et il était las de l’immobilier, aussi
rejoignirent-ils sa Stammtisch pour une collation. Au moment précis où
les serveurs remplissaient leurs verres d’eau, Hitler, dont les yeux d’argent n’avaient
cessé de surveiller l’entrée, eut un sourire joyeux et se leva à demi avec un
petit salut efféminé de la main droite.
— Regarde qui voilà ! dit-il à sa
nièce. La princesse Cantacuzène !
Il n’essayait quand même pas de donner le
change ?
— Quelle
surprise, fit Geli d’un ton plat.
Elle se retourna et vit Frau Eisa Bruckmann. C’était
l’épouse du principal éditeur de Munich, une ancienne princesse de Roumanie, et
avec Helene Bechstein, une des premières personnes en vue à avoir aidé Hitler. Élégante,
mondaine, sûre d’elle, très grande dame, la soixantaine, vêtue d’une robe
Zeppelin du dernier chic, un bichon frisé contre son imposante poitrine, elle
offrit au café son profil égyptien, et seulement alors, dans une scène très mal
jouée, feignit de remarquer la présence d’Hitler. Elle demanda aussitôt au
maître d’hôtel de l’escorter à sa table, et ils s’extasièrent tous deux sur
cette coïncidence en en faisant des tonnes.
Elle fut invitée à se joindre à eux, et elle
prit son temps pour jauger en silence le maintien, les manières et la tenue
vestimentaire de Geli, pendant qu’Hitler racontait gaiement ses vacances bien
trop courtes à Obersalzberg – il travaillait, expliqua-t-il, à un ouvrage
secret sur le sang aryen et les Juifs –, jusqu’à ce qu’il en vienne à cette
journée de chien passée à chercher un appartement pour sa nièce.
— Mais, mon cher Adi, s’exclama Eisa
Bruckmann sur un ton de protestation mal feinte, vous me faites beaucoup de
peine. Vous auriez dû m’appeler.
— Vous auriez quelque chose en vue ?
— Elle peut habiter avec Hugo et moi !
— Non, vraiment, ça ne serait pas
possible, dit Geli.
Elle sentit Hitler lui toucher légèrement le
bras pour la faire taire.
— Cela ne vous dérangerait pas ? demanda-t-il.
— Nous avons une maison immense, répondit
Eisa Bruckmann. Des pièces pour jouer aux échecs. Des pièces pour pleurer. Des
pièces pour faire l’argenterie. Je dois envoyer le majordome en éclaireur quand
je cherche mon mari.
— Herr et Frau Bruckmann demeurent
Thierschstraße, juste à côté de chez moi, dit Hitler à sa nièce sur le ton de l’information.
— Vous désirez mon approbation ? demanda-t-elle.
— Elle veut vivre seule, expliqua Hitler.
— Une chambre meublée, avec salle de
bains privée. Elle pourra dîner avec nous, ou avec les domestiques. Je
préviendrai Hugo de garder les mains dans ses poches et de baisser ses yeux
affamés, dit-elle en plaisantant à l’attention de la demoiselle.
Adolf balançait encore, mais Eisa insistait, et
Geli les regarda jouer leur petite comédie dans un silence fasciné. Ils
mangèrent légèrement à cause de la chaleur estivale et se rendirent à la
résidence de Thierschstraße dans la voiture des Bruckmann. Et pendant qu’Hitler
se changeait de chemise dans son gourbi, on montra à Geli ses quartiers du
troisième étage, dont le mobilier italien n’aurait pas déparé un hôtel de luxe.
Eisa lui raconta qu’après la guerre ils prêtaient souvent leurs pièces du
rez-de-chaussée pour en faire un salon völkish, et invitaient des
philosophes d’un groupe connu sous le nom de Cercle cosmique pour éduquer leurs
amis sur la signification de la croix gammée et le besoin d’un renouveau païen.
— Une fois nous avons organisé une soirée
dionysienne, avec une ancienne danse corybante effectuée par des jeunes gens
splendides vêtus uniquement de bracelets de cuivre.
— Et dire que pendant ce temps-là j’allais
en classe à Vienne, gémit Geli en souriant.
— Nous avons rencontré Adolf au
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