La nièce de Hitler
tardivement :
— Elle s’appelait Bertha Meyer, à l’époque.
Elle est juive.
Puis il pâlit.
— Ne le dites pas à Hitler.
— Ne vous en faites pas. J’ai de l’entraînement.
L’entraînement, elle
l’avait acquis durant l’automne 1927 en omettant de parler à Hitler d’un
certain Christof Fritsch, un bel étudiant en médecine, grand, blond, large d’épaules
mais d’une maigreur squelettique, l’esprit rempli de faits scientifiques et de
philosophie, toujours vêtu d’un chandail noir à col roulé, se nourrissant
surtout de café d’un noir d’encre et de pain rassis, le visage constamment
aussi sérieux qu’un examen de fin d’année. Christof était tombé amoureux de
Geli pendant le cours de chimie, et s’arrangeait souvent pour venir lui tenir
compagnie lorsqu’elle était seule, qu’elle nourrisse les cygnes devant le
palais Nymphenburg ou étudie sur les pelouses du Theresienwiese en tenant son
livre au-dessus de son visage pour se protéger du soleil. Comme elle n’avait
pas réussi à convaincre Christof qu’elle ne s’intéressait pas à la politique – quand
même, c’était la nièce d’Hitler –, il la bombardait de ses réflexions pesantes
sur le nouveau système parlementaire, la république de Weimar, et le Volk. Le
jour de la Saint-Nicolas, il lui avait fait la surprise de lui offrir un
ornement représentant un petit ange doré qu’il avait trouvé au célèbre marché
de Noël de Nuremberg. Elle l’avait vu sur des patins à glace pendant le
carnaval et Christof l’avait informée avec l’intensité la plus froide qui soit
que pour elle, il avait entrepris d’étudier l’histoire de l’opéra. Et le
premier mai 1928, selon la tradition, Christof s’était faufilé dans la pension
Klein bien avant l’aube, pour déposer devant la porte de Geli une branche de
chêne, symbole de sa constance. Christof était encore présent dans sa vie, et
lui écrivait des lettres d’un haut niveau intellectuel, pleines d’adoration, de
passion et de sa Weltanschauung toute personnelle, et, si elle ne
faisait rien pour l’encourager, elle n’avait pas parlé de lui à Emil non plus, et
se demandait bien ce que cela signifiait.
Elle omit également de mentionner à Hitler ce
qui s’était passé lors de la soirée donnée à Berlin en janvier 1929, en l’honneur
du Hauptmann Hermann Göring et de Herr Alfred Rosenberg qui, à leur
horreur mutuelle, étaient nés le même jour.
Quelques mois après son élection comme Mitglied des Reichstags, Göring avait découvert que la compagnie aérienne
Lufthansa cherchait des subventions gouvernementales pour l’aviation civile, aussi,
pour des honoraires de consultant de cinquante mille Reichsmarks par an,
avait-il accepté d’aider la compagnie dans la poursuite de ses objectifs et, même
s’il ne fit en tout et pour tout que deux interventions devant le Reichstag, celles-ci
furent opportunément conformes aux sujets choisis par Lufthansa. Bientôt, il
fut également consultant pour BMW, Heinkel, et le constructeur d’avions
Messerschmitt ; grâce à Fritz Thyssen des aciéries Vereinigte
Stahlwerke il put s’offrir la décoration et les tapis cramoisis de son
luxueux appartement de Badenschestraße dans le quartier Schöneberg de Berlin, tandis
que le magnat du charbon Wilhelm Tengelmann lui donnait de l’argent pour des « recherches
géologiques ». Il était donc plus heureux qu’il ne l’avait été depuis le
putsch, et bien plus prospère que jamais au cours de sa vie plutôt aisée, et il
avait tellement grossi que l’on disait de lui qu’il « s’asseyait sur son
ventre et se mettait des corsets aux cuisses ».
Mais ce soir-là, Göring, dans son vaste
costume blanc, avait les yeux si effroyablement injectés de sang que le bleu
semblait avoir disparu, et il confiait à Geli qu’il travaillait dix-neuf heures
par jour, que la santé de sa femme Carin faiblissait, et que Herr Hitler le
trouvait toujours douteux et suspect.
— Je fais tellement d’efforts avec votre
oncle, expliquait-il en transpirant. J’apporte des faits et des convictions, des
opinions qui ne demandent qu’à s’exprimer. Mais chaque fois que je me trouve
devant le Führer, mon courage tombe dans mes chaussettes.
Ayant entendu, le Doktor Goebbels intervint
dans leur conversation à sa manière cordiale et doucereuse.
— Même s’ils sont puissants dans leurs
domaines propres, tous ceux qui sont proches du
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