La Papesse Jeanne
sa croupe et de son dos. Frère Germar, le doyen
des diacres, alla décrocher dans un coin de la pièce un gros gourdin de bois à
l’extrémité duquel étaient clouées plusieurs lanières de corde à nœuds. Ayant
pris position, il brandit son arme et l’abattit sur l’échine de Gottschalk. La
morsure des lanières résonna d’un mur à l’autre.
Un frisson
traversa le dos balafré de Jeanne. Elle était bien placée pour savoir que la
chair avait sa propre mémoire, plus aiguisée sans doute que celle de l’esprit.
Frère Germar
releva le bras et frappa de nouveau, encore plus fort. Le corps entier de
Gottschalk tressaillit, mais il garda les mâchoires serrées, refusant de donner
à l’abbé le plaisir de l’entendre se plaindre. Le fouet s’abattit de plus
belle, encore et encore, mais Gottschalk ne céda pas.
Une fois
administrés les sept coups rituels, Germar baissa le bras. L’abbé Raban, d’un
geste rageur, lui fit signe de continuer. Avec un regard surpris, le moine s’exécuta.
Il y eut trois
nouveaux coups, puis quatre, puis cinq, et tout à coup, un horrible fracas
retentit : le gourdin venait de briser un os. Gottschalk renversa la tête
en arrière et poussa un hurlement – un cri effroyable, déchirant, venu du
cœur de ses entrailles – qui resta longtemps suspendu en l’air avant de
se transformer en sanglot.
L’abbé Raban
hocha la tête, satisfait, et ordonna à Frère Germar de cesser ses coups. Tandis
que le fautif était à demi traîné vers la porte, Jeanne devina un éclair blanc
au milieu de son dos inondé de sang. Une de ses côtes, en se brisant, lui avait
transpercé les chairs.
Contrairement à l’habitude,
l’infirmerie était vide. Par cette belle journée, sans vent, les vieillards et
les malades chroniques avaient été conduits au-dehors pour profiter un peu de
la bienfaisante caresse du soleil.
Frère Gottschalk gisait
sur le flanc, à demi inconscient. Ses plaies ouvertes coloraient le drap de
rouge. Penché sur lui, Frère Benjamin, le médecin de l’abbaye, tentait d’endiguer
le flot de sang au moyen de bandages déjà complètement imbibés. Il leva la tête
à l’entrée de Jeanne.
— Bien. Te
voici. Prends donc une brassée de charpie de lin sur l’étagère et
apporte-la-moi.
Jeanne s’empressa
d’obéir. Frère Benjamin défit le bandage du blessé, le jeta à terre et le
remplaça par de la charpie propre, laquelle vira au rouge en quelques secondes.
— Aide-moi à
le retourner, dit le moine médecin. Dans cette position, sa côte brisée
continue de lui entailler les chairs. Il faut la remettre en place pour faire
cesser l’hémorragie.
Jeanne contourna
le lit et se plaça de façon à pouvoir, d’un seul geste, redresser l’os.
— Doucement,
reprit Benjamin. Bien qu’à demi évanoui, il risque de souffrir. A mon signal,
Frère Jean... Un, deux, trois !
Jeanne exerça une
traction au moment exact où Benjamin poussait. Un nouveau flot de sang jaillit.
L’os, quant à lui, n’était plus visible dans la plaie béante.
— Deo,juva
me ! s’écria Gottschalk, ivre de douleur,
avant de s’effondrer, inerte.
— Et
maintenant, Frère Jean, que nous reste-t-il à faire ? interrogea Benjamin.
— Il faut
encore appliquer un onguent... d’armoise, peut- être, mélangée à quelques brins
de pouliot. Et aussi imprégner la charpie de vinaigre pour en faire une
compresse.
— Excellent,
acquiesça Benjamin, satisfait de la réponse. Nous y ajouterons également un peu
d’ache pour lutter contre l’infection.
Côte à côte, ils
préparèrent leur onguent, et un parfum d’herbes fraîches ne tarda pas à flotter
dans l’infirmerie. Quand le nouveau bandage fut prêt et imprégné, Jeanne le
tendit à son maître.
— À toi de
le mettre en place, dit celui-ci en reculant d’un pas.
Et Benjamin
regarda son élève refermer seule les lèvres de la plaie, puis arranger le
bandage d’une main experte.
Quand Jeanne eut
fini, le moine s’approcha pour examiner son œuvre. Le bandage était
irréprochable – mieux placé, peut-être, qu’il ne l’eût fait lui-même.
Cependant, il n’aimait guère la mine de Frère Gottschalk. Froide et moite au
toucher, sa peau était blanche comme linge. Son souffle était trop court, et
son pouls, tout juste perceptible, était dangereusement rapide.
Il va mourir, se dit-il. Le père abbé sera furieux. Raban s’était emporté
au chapitre, et le
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