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La Papesse Jeanne

La Papesse Jeanne

Titel: La Papesse Jeanne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Donna Cross
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que le village
eût connue depuis des années. Mais au mois d’Heilagmanoth, la neige revint, et
le vent se mit à souffler du nord en froides rafales. La fenêtre unique de la
maison fut de nouveau condamnée pour faire rempart contre une congère adossée
au mur. La famille passait le plus clair de ses journées enfermée à l’intérieur.
Matthieu et Jeanne avaient désormais du mal à trouver un peu de temps pour
leurs leçons. Quand il ne faisait pas trop mauvais, le chanoine s’en allait
exercer son sacerdoce avec Jean, préférant laisser Matthieu à ses chères
études. Dès que Gudrun partait dans la forêt chercher du bois, Jeanne courait
vers le pupitre sur lequel son frère aîné était courbé, et ouvrait la Bible à
la page où ils avaient laissé la leçon précédente. Ce fut ainsi qu’elle
continua de progresser. Avant même le printemps, elle maîtrisait presque tout l’Évangile
de Jean.
    Un jour, Matthieu
tira un objet de sa besace et le lui tendit avec un sourire. C’était un
médaillon de bois, retenu par un cordon. Matthieu passa le cordon autour du cou
de Jeanne, qui regarda avec émerveillement le médaillon tomber sur sa poitrine.
    Qu’est-ce que c’est ?
    — Un petit
cadeau.
    — Oh...
merci, fit-elle, sans comprendre vraiment.
    Matthieu rit de son
désarroi.
    — Regarde l’endroit
du médaillon.
    Jeanne fit ce qu’il
lui ordonnait. Le visage d’une femme était gravé sur la surface de bois. C’était
une œuvre grossière, Matthieu n’ayant rien d’un menuisier, mais les yeux
étaient fort bien représentés : leur intelligence avait même quelque chose
de saisissant.
    — Et
maintenant, ajouta Matthieu, regarde le revers.
    Jeanne retourna
le médaillon. En grosses lettres capitales, elle lut : « Sainte
Catherine d’Alexandrie. »
    Avec un petit cri
de joie, elle pressa le médaillon contre son cœur. Elle savait ce qu’un tel
présent signifiait. C’était la façon de Matthieu de saluer ses mérites et de
témoigner de la foi qu’il avait en elle. Ses yeux s’emplirent de larmes.
    — Merci !
répéta-t-elle.
    Cette fois,
elle a parfaitement compris, se dit son frère en
souriant. Jeanne remarqua alors ses yeux cernés de noir. Il semblait épuisé.
    — Matthieu...
serais-tu malade ? demanda-t-elle, inquiète.
    — Bien sûr
que non ! s’empressa-t-il de répondre d’un ton un peu trop enjoué.
Commençons la leçon, veux-tu ?
    Mais il se montra
nerveux, distrait. De manière étrange, il ne la reprit pas à sa première erreur
d’inattention.
    — Tu ne te
sens pas bien ? s’enquit de nouveau Jeanne.
    — Non. Je
suis un peu las, c’est tout.
    — Veux-tu
arrêter ? Rien ne presse. Nous reprendrons demain.
    — Non. Je te
demande pardon, je me suis laissé distraire. Où en étions-nous ? Ah oui...
Relis donc le dernier paragraphe, et cette fois, fais bien attention au verbe : videat, et non videt.
     
     
    Le lendemain
matin, Matthieu s’éveilla en se plaignant d’avoir mal à la tête et à la gorge.
Gudrun lui apporta un bol fumant de lait caillé à la bourrache et au miel.
    — Garde le
lit aujourd’hui, lui dit-elle. Le fils de la vieille mère Wigbod souffre d’une
fluxion. Il se peut que tu sois atteint du même mal.
    Matthieu rit avec
force dénégations. Il consacra plusieurs heures à son étude, puis tint à sortir
afin d’aider son frère Jean à tailler la vigne.
    Le lendemain, il
avait de la fièvre et des difficultés à avaler. Le chanoine lui-même vit qu’il
était malade. Il le dispensa d’étudier ce jour-là, ce qui constituait une
faveur inouïe.
    On manda de l’aide
au monastère de Lorsch. Deux jours plus tard, l’infirmier vint examiner
Matthieu, dodelinant sans cesse du chef et bougonnant gravement dans sa barbe.
Pour la première fois, Jeanne sentit que son frère pouvait être en danger, et
cette idée la terrifia. Le moine saigna abondamment Matthieu, épuisa son
répertoire de prières et de saints talismans, mais à la Saint-Séverin, l’état
du malade devint critique. Il gisait dans le lit, frappé de stupeur et secoué
de quintes de toux si violentes que Jeanne se couvrait les oreilles pour
essayer de ne plus l’entendre.
    La famille le
veilla pendant toute la journée, puis pendant la nuit. Jeanne s’agenouilla à
côté de sa mère sur le sol. La métamorphose de Matthieu était effrayante. Sa
peau tendue à craquer déformait ses traits en un horrible masque. Sous les
rougeurs

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