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La Papesse Jeanne

La Papesse Jeanne

Titel: La Papesse Jeanne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Donna Cross
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que Matthieu entre à l’école Palatine.
    — Je le
sais.
    — Il voudra
y envoyer Jean à sa place. Voilà pourquoi Jean pleure. Il sait qu’il n’est pas
capable d’étudier là-bas, et il redoute la colère de Père.
    — Eh bien ?
    — Moi, je
peux. Je suis capable de prendre la suite de Matthieu !
    Pendant un long
moment, Gudrun fut trop stupéfaite pour répondre. Sa fille, qu’elle chérissait
entre tous  – la seule de ses enfants avec qui elle eût partagé la langue
et les mystères de son peuple  –, voulait à présent se plonger dans l’étude
des livres sacrés des conquérants chrétiens ? Le seul fait que Jeanne pût
envisager cette idée lui parut profondément blessant.
    — Quelle
absurdité ! s’exclama Gudrun.
    — Le travail
ne me fait pas peur, insista Jeanne. J’aime l’étude, j’aime apprendre. Et
ainsi, Jean ne sera pas obligé de le faire. Il n’est pas doué pour ces choses.
    Jean, le visage
toujours enfoui au creux de l’épaule de sa mère, émit un sanglot étouffé.
    — Tu es une
fille, lâcha Gudrun. Ces choses, comme tu dis, ne te concernent pas. D’ailleurs,
ton père n’acceptera jamais.
    — C’était
avant, Mère. Tout a changé. Ne le voyez-vous pas ? Père pourrait changer d’avis.
    — Je t’interdis
de parler de cette idée à ton père. La faim et la fatigue t’auront donné le
vertige, comme à ton frère. Sans cela, jamais tu ne tiendrais des propos aussi
insensés !
    — Mais si
seulement je pouvais lui montrer...
    — Pas un mot
de plus !
    Jeanne se replia
dans le silence. Sous sa tunique, elle serra dans sa paume le médaillon de
sainte Catherine gravé par Matthieu. Je sais lire le latin, et Jean, lui, en
est incapable. Quelle importance si je suis une fille ?
    Elle s’approcha
de la Bible posée sur le pupitre. Elle la souleva et s’imprégna de son poids,
des rainures familières de ses motifs dorés sur tranche. L’odeur mêlée du bois
et du parchemin, si étroitement associée à Matthieu, lui fit penser à leur travail
commun, à tout ce qu’il lui avait appris, à tout ce qu’elle voulait encore
apprendre. Peut-être, si je montre à Père l’étendue de mon savoir...
peut-être verra-t-il de quoi je suis capable. Une nouvelle bouffée d’excitation
s’empara d’elle. Il pourrait aussi se mettre très en colère. Les fureurs
de son père l’effrayaient. Il l’avait frappée maintes fois, bien trop souvent
pour qu’elle ignorât encore la force de son courroux.
    Hésitante, elle
caressa longuement la reliure de bois. Sous l’effet d’une soudaine impulsion,
elle ouvrit la Bible. Ses yeux tombèrent sur l’ouverture de l’Évangile de Jean,
d’où Matthieu avait tiré sa première leçon de lecture. C’est un signe.
    Sa mère, assise,
lui tournait le dos. Elle berçait son frère, dont les sanglots s’étaient mués
en hoquets de désespoir. C’est le moment. Jeanne, portant dans ses bras
le livre ouvert, passa dans la pièce voisine.
    Son père était
tassé sur sa chaise, tête basse, le visage entre les mains. Il ne bougea pas à
l’approche de Jeanne. Elle s’arrêta, soudain effrayée. Son idée était
impossible, ridicule. Son père ne l’approuverait jamais. Elle s’apprêtait à
battre en retraite quand il retira ses mains et leva les yeux. Elle se tenait
debout devant lui, la Bible entre les mains.
    D’une voix
tremblante, elle se mit à lire.
    — In
principio erat verbum et verbum erat apud Deum et verbum erat Deus...
    Il n’y eut point
d’interruption. Elle poursuivit, gagnant en assurance à chaque mot.
    — « Tout
fut par lui. Et rien de ce qui fut ne fut sans lui. En lui était la vie, et la
vie était la lumière des hommes. »
    La beauté et le
pouvoir des mots l’enivraient, la poussaient, lui donnaient la force de
continuer. Elle arriva à la fin du passage, rouge de fierté et certaine d’avoir
bien lu. Elle leva les yeux. Le regard de son père était rivé sur elle.
    — Je sais
lire. Matthieu m’a appris. C’était notre secret, dit-elle avec une
précipitation joyeuse. Vous serez fier de moi, Père, je le sais. Laissez-moi
poursuivre les études de Matthieu, et...
    — Toi !
tonna le chanoine, pointant sur elle un doigt accusateur. C’était donc toi !
C’est toi qui as attiré sur notre maison la fureur de Dieu ! Enfant
dénaturée ! Monstre ! Tu as tué ton frère !
    Jeanne poussa un
cri. Le chanoine marchait sur elle, bras levé. Elle lâcha le

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