La parade des ombres
d’une ride soucieuse. Je n’aime pas ce qu’il augure.
— Que suggères-tu ?
— De louvoyer entre les îlots et d’y repérer une crique pour s’abriter. S’ils ne nous rattrapent pas avant. Faites donner la voile, toute la voile, capitaine. Prenez le vent par le travers, il faut utiliser les courants côtiers pour gagner en vitesse.
— Bonne idée, miss Mary, approuva Calvi.
— Crois-tu que nous ayons une chance ? demanda Baletti tandis que Calvi hurlait ses ordres.
— Je l’ignore, mais il leur en coûtera de nous prendre, assura-t-elle.
Elle se détourna de lui et appela ses pirates, les rassemblant à l’aide du porte-voix :
— Branle-bas de combat, messieurs. Huniers, hissez le pavillon noir.
Elle se retourna vers Baletti.
— Il vaut mieux se préparer à l’attaque. Le Jolly Roger leur donnera peut-être à réfléchir. On se doit le respect en mer entre pirates. C’est tout ce que nous pouvons faire.
— Je doute que ce soit suffisant, conclut Baletti.
Mary revint à la barre sans répondre.
Ils avaient quitté la Tortue moins d’une dizaine de jours après y avoir accosté. Mary avait tout raconté à Junior. Elle avait craint qu’il ne lui en veuille de s’écarter une fois encore de sa route. Au contraire, il l’avait encouragée.
— Je ne crois pas au hasard, maman. Si Baletti a de nouveau croisé ton chemin, c’est que l’heure est venue d’en terminer avec ce que tu as commencé. Je ne t’en ai jamais parlé, ni même reproché quoi que ce soit, avait-il avoué. J’étais certain, comme Corneille, qu’il fallait oublier, mais moi je ne l’ai jamais pu. Mon envie de bataille et de sang n’est que l’expression de ma vengeance inassouvie. Comme toi, j’en suis persuadé. Je ne suis plus un enfant.
— Tu pourrais m’accompagner avec le Bay Daniel.
Junior avait baissé les yeux.
— Oui, je le pourrais, mais il y a autre chose dont je ne t’ai pas parlé. Je ne savais pas trop comment te dire…
Mary avait tiqué. Ils se trouvaient dans l’auberge de Gave-Panse. Baletti avait refusé de se montrer à terre, malgré tous les arguments de Mary. Il se supportait difficilement. Elle avait fini par renoncer.
— Viens, lui avait dit Junior.
Le jour se levait. Son fils l’avait conduite à l’autre bout de la ville, devant une cabane. Mary la connaissait. L’épouse de la Tenaille y vivait avec son petit garçon. C’était une esclave d’une vingtaine d’années que le quartier-maître de Corneille avait affranchie et gardée. Mary avait compris bien avant qu’il toque à sa porte et que Galia ouvre, le ventre en avant Junior était amoureux. Elle avait remarqué qu’il s’absentait souvent depuis quelques mois. Junior s’était toujours montré discret avec ses conquêtes.
— Nous nous sommes consolés mutuellement, lui avait-il avoué en enlaçant sa bien-aimée. Je voudrais la marier avant que mon fils ne naisse. Si tu es d’accord…
Pour tout consentement, Mary les avait embrassés. Elle les avait quittés sur le seuil de la porte. Elle n’avait plus rien à y faire, sinon à les aimer de loin. Ainsi allaient les choses. Mary était revenue auprès de Baletti, porteuse d’une raison supplémentaire pour le suivre : tenir la promesse qu’elle avait autrefois faite à son fils de tuer Emma de Mortefontaine. Le poignard de Niklaus avait été son compagnon le plus fidèle.
C’était dans le cœur d’Emma qu’il devait finir sa carrière. Mary Read n’aurait jamais dû l’oublier.
Bien qu’il ne soit pas le navire idéal pour cette expédition guerrière, Mary n’avait eu d’autre choix que de se contenter de la flûte de Baletti. Au moins leur avait-elle permis de stocker une large provision de vivres et d’eau dans ses cales, leur évitant de trop nombreuses escales. Le capitaine Calvi s’était montré compréhensif. Quelques jours à terre lui avaient suffi pour comprendre l’attachement des pirates à Mary Read. Il lui avait offert le commandement du Maria en signe de profond respect. Elle s’était contentée du poste de second.
Le Bay Daniel les avait escortés trois jours durant, les saluant ensuite d’une canonnade avant de virer de bord.
Mary n’en avait ressenti qu’un pincement au cœur. Son fils chéri voguait de ses propres voiles. Il n’avait plus besoin d’elle désormais. Elle s’en était consolée en tentant d’apprivoiser le marquis. Avec autant de patience et d’abnégation
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