La parade des ombres

parierais que c’est La Revanche.
    Elle descendit en hâte du mât de hune et se précipita vers James qui scrutait l’horizon. Elle était rouge d’une excitation étrange. Elle s’empara d’une longue-vue pour vérifier son sentiment.
    Abandonnant aussitôt James, elle descendit l’escalier du gaillard en courant et s’engouffra dans la cabine où Vanderluck et Baletti étaient occupés à faire le point sous le mouchard.
    — Rackham ! s’exclama-t-elle.
    Les deux hommes se figèrent. Le regard de Mary contenait une lueur de folie qu’ils ne lui connaissaient pas.
    — Rackham. La taverne. New Providence, débita-t-elle d’une voix hachée. C’est elle.
    — Elle ?
    — L’épouse de Bonny. C’était elle. Ann.
    Vanderluck tourna son regard vers Baletti, qui avait blêmi.
    — Tu as dit qu’elle me ressemblait, insista Mary, le sang cognant à ses tempes.
    — C’est vrai, Mary, mais…
    — C’est elle, marquis.
    Elle passa une main tremblante sur son front. Son regard se fit désespéré. Baletti revit les images que son souvenir en avait gardées. Elles étaient floues. Beaucoup de temps avait passé depuis New Providence. Il s’approcha d’elle pour l’enlacer.
    — Calme-toi.
    — Tu me demandais de faire confiance à mon instinct, lui dit-elle en se laissant bercer. Il vient de me rattraper. Avec La Revanche qui file vers nous, cette image m’a foudroyée, comme si elle était demeurée là, tapie dans ma tête, attendant que j’accepte de la voir, enfin.
    — Admettons, lui accorda Baletti en s’écartant d’elle.
    Vanderluck tendit un verre de rhum à Mary, qu’elle avala d’un trait.
    — J’ai confiance en ton intuition, assura celui-ci. Je l’ai bien assez éprouvée au combat.
    James surgit à ce moment-là.
    — Ils se rapprochent, dit-il, avant deux heures ils nous aurons rattrapés. Avez-vous trouvé une crique où nous cacher ?
    — Je ne veux pas me cacher, déclara Mary fermement. Ann était grosse de Rackham. Il l’a sûrement laissée à terre avec l’enfant. Je dois savoir, Hans.
    — Comment comptes-tu t’y prendre ? soupira Baletti.
    — En gagnant son bord. Une fois que je serai fixée, je déserterai.
    — Il est hors de question que je te quitte.
    — Mais nous ne pouvons prendre le risque de voir Emma s’échapper.
    — Je me charge d’elle, assura Vanderluck. James ?
    — Avec grand plaisir, père ! Occupez-vous d’Ann, de votre côté. La Havane sera notre point de ralliement.
    Mary hocha la tête, ravie de cet arrangement, malgré une certaine inquiétude.
    — Je doute fort que Rackham soit ravi de nous recruter ! soupira-t-elle.
     
    *
     
    — Ils ont mis en panne, capitaine, déclara Fertherston. On dirait qu’ils nous attendent.
    Rackham enleva son œil de la longue-vue.
    — Je le vois bien.
    Son inspection n’avait rien donné. Cette flûte paraissait aussi anodine que possible.
    — Méfions-nous tout de même, décida-t-il. Que les batteries soient prêtes à gronder. Je n’aimerais pas tomber dans un piège de ce chien de Woodes Rogers.
    — A vos ordres, capitaine.
    Davis ordonna le branle-bas de combat sans tarder.
     
    *
     
    Mary regardait La Revanche approcher, les poings serrés sur une agitation extrême. Jamais elle n’aurait pensé que l’idée de revoir Ann la briserait à ce point quand elle avait tant fait pour l’oublier. Baletti avait raison. On ne guérit jamais d’un membre amputé.
    — Tout va bien, Mary ? s’enquit Hans qui l’avait rejointe.
    Elle hocha la tête.
    — Pourquoi n’as-tu pas réclamé mon aide, après la mort de Niklaus ? demanda-t-il abruptement, s’adossant aux drisses.
    — Je n’en sais rien. Je n’avais envie de parler à personne, encore moins de perdre du temps à gagner Ostende.
    — Tu aurais pu me confier Junior. C’était mon filleul.
    Elle soupira.
    — Je n’ai pas de réponse, Hans. J’ai agi sans réfléchir.
    — D’instinct ?
    — Sans doute. Je suis désolée.
    — Ne le sois pas, Mary Olgersen. Je suis devenu fataliste avec les années. Si la compagne de Rackham est effectivement Ann, alors c’est que ton instinct ne t’a pas trompée.
    — Que veux-tu dire ?
    — Sans Junior, tu ne serais peut-être jamais devenue pirate, n’aurais jamais échoué dans les Caraïbes, et nous ne serions peut-être pas là, si près d’elle.
    — Sans Junior, j’aurais cédé à Emma et j’aurais récupéré Ann.
    — C’est ce que tu