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La parade des ombres

La parade des ombres

Titel: La parade des ombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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accoucher qu’elle injuriait Rackham de l’avoir remplie de même. Il avait prévu de repartir aussitôt. Elle l’ensorcela tant que nous demeurâmes un mois à l’ancre. Au point que plusieurs d’entre nous redevinrent boucaniers et y restèrent.
    — Pas toi ?
    Il haussa les épaules.
    — À chacun son gibier. Certains aiment les sangliers. D’autres les métisses… Si tu vois ce que je veux dire.
    — Je vois. Et l’enfant ?
    — Petit Jack ? Vigoureux et braillard comme son père. Rackham en devint fou, tout autant que de sa femme. Chaque jour, il reculait notre appareillage. Nous autres, on n’était pas dupes. On savait bien qu’elle le menait par le bout du nez. Mais c’était notre capitaine et on le connaissait assez pour savoir qu’il finirait par s’en lasser. On a boucané la viande et les poissons, séché les fruits, soigné ceux des nôtres que le scorbut rongeait, rempli d’eau nos barriques et négocié de la farine de manioc. Bref, on a assuré de quoi supporter une longue campagne. En se disant qu’une fois en mer vaudrait mieux qu’on ne revienne pas trop souvent pour qu’elle nous le gâte pas trop.
    Harwood s’étira, tira une bouffée de sa pipe, puis continua :
    — Rackham s’est pointé un matin et a donné l’ordre à Fertherston de rassembler l’équipage, et de tenir La Revanche prête à appareiller pour la nuit suivante. On a tout de suite compris qu’il voulait filer en douce. On a avitaillé le navire discrètement et on a attendu à bord. Tu me croiras si tu veux, Read, mais quand Rackham a grimpé l’échelle de corde depuis le canot, il a fait une sacrée gueule, et nous aussi.
    — Pourquoi ?
    Harwood se mit à rire à ce souvenir.
    — Ann est arrivée en même temps que lui, par bâbord, se hissant par l’ancre, et elle l’a devancé sur la dunette, habillée en homme et armée. Quand elle a tiré simultanément en l’air avec ses pistolets, on s’est tous demandé si le diable n’avait pas surgi !
    Mary éclata de rire à son tour. Elle imaginait fort bien la tête de Rackham à cette apparition.
    — « Regardez-moi bien, bande de culs-terreux ! s’est-elle exclamée, poursuivit Harwood. Et toi aussi, Rackham ! Le premier qui essaie encore de me faire un coup fourré, je lui tranche les couilles et je les lui fais bouffer ! Quant à toi, capitaine, colle-moi encore un mouflet et c’est lui que je te servirai à la broche ! a-t-elle ajouté en crachant par-dessus la rambarde. J’ai pas quitté Bonny pour ça ! Tâche de ne pas l’oublier. » Sur ce, elle a enjambé la coursive, a écarté les bras et a sauté au milieu de nous autres, trop éberlués pour esquisser le moindre geste. Elle a atterri dans une roulade, s’est redressée, a remis ses pistolets à Rackham, plus rouge de colère qu’un cul gratté, et a ajouté : « Punis-moi si tu veux, mais si tu me débarques, tu ne me reverras jamais ! »
    — Et Rackham a cédé…
    — Il lui a collé une gifle et l’a fait mettre aux fers deux jours durant. Au troisième, elle est remontée, l’œil noir, a vidé une pinte de tafiat et a grogné que le premier qui s’aviserait de lui mettre la main au derrière n’en aurait plus pour se branler. A l’abordage, elle est aussi déchaînée que toi. L’expérience en moins. Cette garce est le diable en personne. Et le meilleur compagnon qu’on puisse rêver, conclut-il en bâillant.
    L’instant d’après, Harwood s’endormait, bercé par les mouvements du navire et par le rhum qu’il avait avalé.
    Mary Read demeura longtemps sous le manteau d’étoiles, sa pipe aux lèvres, à rire du tempérament d’Ann dans lequel elle se reconnaissait, l’âme émerveillée de la savoir si proche enfin, et de ce hasard qui, cette fois, semblait vouloir la réconcilier avec son passé. Pour retrouver sa fille et lui révéler la vérité, elle allait devoir l’apprivoiser. Cela prendrait du temps, mais Ann finirait par l’aimer.
    Baletti partagea son sentiment quelques jours plus tard, au moment où, rattrapant enfin la proie que le hasard leur destinait, La Revanche largua ses grappins par le bord, ivre d’avance à l’idée du carnage. Ann écumait aux côtés de Mary. Elles fondirent sans pitié sur ces hommes aguerris, cherchant le choc du métal, sentant leurs forces décuplées à l’odeur du danger, approchant la mort avec la même élégance. Et Baletti vit ses derniers doutes balayés. Ces deux-là

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