La parade des ombres
Ils étaient perdus. Il leva le porte-voix et s’adressant à Jonathan Bar-nett demanda quartier.
Mary se précipita vers Ann, rageuse. Leurs regards se trouvèrent. Ils étaient emplis de la même détermination.
— Jamais ! décidèrent-elles.
Harwood, qui remontait de la batterie, atteint au bras par un éclat de grenaille, les rejoignit en courant.
Les soldats du gouverneur envahissaient déjà le pont du William pour accueillir leur reddition.
Mary ne réfléchit pas. Elle refusait de finir au bout d’une corde avec Ann. Toutes deux méritaient mieux que cela.
Elles brandirent leurs sabres et hurlèrent en fonçant dans le tas, se battant comme jamais. Décimant à tour de bras, Harwood à leurs côtés, jusqu’à se trouver acculées contre le mât de misaine, déchiqueté à mi-hauteur, gênées par les drisses emmêlées et les balancines effondrées. Elles étaient vaincues. Le bras sanguinolent de Harwood ne pouvait plus seulement relever le sabre et Ann y posa une main navrée.
— Rendez-vous, ordonna Jonathan Barnett qui s’était avancé. Vous êtes cernées.
— Jamais, grinça encore Mary Read.
— Saisissez-la, décida Barnett. Les soldats se jetèrent sur elle. Malgré leur courage, on leur fit lâcher le sabre. Elles se battirent encore des poings et des pieds avant d’être immobilisées, ceinturées puis ligotées et entravées.
Barnett se planta devant elles. Ann et Mary redressèrent le menton pour le braver, droites et fières.
— Je salue votre bravoure affirma-t-il. Je présume que vous êtes Ann Bonny et Mary Read ?
Elles ne répondirent pas. Barnett soupira :
— Emmenez-les, dit-il avant de s’écarter.
On les rapprocha du groupe de prisonniers. Rackam s’y trouvait déjà, penaud de voir Barnett glisser une bourse rebondie dans la main des pêcheurs de tortues. L’intuition de Mary ne l’avait pas trompée. Ils avaient été refaits.
Celle-ci le toisa avec mépris. Ann avec rancune. Tandis qu’on les forçait à emprunter la passerelle pour gagner les cales du Majesty, Ann releva la tête et se mit à chanter. La voix de Harwood s’accorda à celle de Mary et rejoignit sa vindicte, sans tenir compte des ordres qu’on leur donnait de se taire.
« Serons pendus corne de cocu Serons pendus mais jamais vendus ! »
Pour seule réponse, John Rackam baissa les yeux sur sa misère et allongea son pas.
35
L e procès de John Rackam et des principaux membres de son équipage eut lieu dans la ville de Saint-Jacques-de-la-Vega, en Jamaïque. Il retentit dans toutes les Caraïbes et finit par atteindre l’île des Pins où le Sergent James mouillait dans l’attente du retour de Mary.
La nouvelle les plomba. Junior fut le premier à réagir, tapant du poing sur la table devant laquelle ils s’étaient installés pour boire. Boire jusqu’à plus soif. Boire pour oublier leur impuissance et leur désarroi.
— Je ne permettrai pas ça, marquis ! Je veux serrer Ann dans mes bras, au moins une fois ! Mary, elle, ne nous aurait pas abandonnés.
— Tu as raison, fiston ! s’exclama Hans en se redressant. Mais que pouvons-nous faire ?
— Lever l’ancre, décida Junior, et partir là-bas.
Il bondit pour donner ses ordres, James sur ses talons. Ces deux-là s’entendaient autant que des frères. Autant que Hans avec Niklaus autrefois.
Baletti et Vanderluck échangèrent un regard.
— Ça ne peut pas se terminer comme ça, pas avec elle, marquis.
Ils se donnèrent une accolade. Mary leur avait montré la voie. Pour elle, ils ne faibliraient pas.
Tandis que l’on s’activait déjà aux manœuvres, arrachant le Bay Daniel à la crique, Junior leur raconta comment Mary Read avait tenté de délivrer Corneille de la potence. Il avait eu le temps de tirer les leçons de leur échec. Cette fois, il ne laisserait rien au hasard.
Ensemble, ils se mirent à échafauder un plan d’action, refusant cette fatalité qui les avait défaits tantôt. Aucun des quatre n’était homme à cesser le combat.
*
Mary ne se résignait pas. Son ventre lui confirmait ce que son instinct disait. Contre toute attente, elle était enceinte. Elle s’en était aperçue bien avant qu’Ann lui révèle sa propre grossesse. Il y avait peu de chances pour que l’enfant tienne, elle espérait pourtant le garder jusqu’au procès. Parce qu’il la sauverait du gibet, comme Ann serait sauvée par le sien. Dans un premier temps, du moins. Elle
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