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La parade des ombres

La parade des ombres

Titel: La parade des ombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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leur communauté, contre un asile bien mérité.
    Maria Contini venait de naître.
    On lui donna une robe de camelot blanc, assez courte pour dénuder sa cheville, on l’ajusta afin qu’elle dessine bien la taille et on l’assortit d’une bande noire qui faisait ressortir la blancheur de sa gorge découverte. Pour se rendre au chœur, on lui alloua aussi une mante de fine laine blanche. Les autres nonnes, pour la plupart des catins reconverties, l’accueillirent avec chaleur et s’appliquèrent dès les premiers jours à lui raconter d’où ce couvent tirait sa renommée si particulière. Fondé au XIII e siècle, il n’avait cessé d’être mis en disgrâce. En 1295 et 1449 tout d’abord, lorsque les moines dissolus qui cohabitaient en tout bien et sans honneur avec les sœurs augustines en furent chassés. Puis en 1574, où dix nonnes furent séduites par trois nobles et un prêtre. Et encore en 1580 et 1596… La liste était longue et remplissait un ouvrage entier gardé dans le bureau de la mère supérieure, que tout noble généreux pour l’établissement pouvait consulter. En peu de temps, Mary put vérifier de visu ce que Cork avait laissé supposer.
    Il ne se passait pas un jour sans que les parloirs soient envahis par la noblesse. Assis dans de confortables fauteuils, les visiteurs entretenaient les novices de tout et principalement d’amour en toute liberté, séparés d’elles par des barreaux qui n’empêchaient ni les potins mondains, ni les médisances, ni les billets galants. Tout était jeu et prétexte au libertinage. Tel après-midi, c’était un orchestre qui invitait au bal, tel autre, on offrait un banquet, le lendemain, un concert ou une farce. Quiconque pénétrait l’enceinte du couvent ne pouvait en ressortir sans éprouver l’envie d’y revenir et d’y amener quelque ami ou client.
    Le rôle des novices consistait à enflammer les patriciens, de préférence ceux qui pouvaient doter le lieu de la meilleure façon. Un seul intéressait Mary. Ce marquis de Baletti dont elle dut reconnaître au premier regard qu’il était étonnant de charisme, causant grand émoi auprès de ses consœurs qui toutes espéraient ses faveurs.
     
    Il paraissait ne venir ici que pour y traiter des affaires, flanqué d’un nommé Boldoni qui le suivait comme une ombre. Mary avait beau s’approcher d’eux, elle ne parvenait à apprendre de lui que des banalités, tandis que de nombreux visiteurs lui faisaient une cour insistante. Trois mois s’écoulèrent dans une même ronde insipide et cependant colorée. Jusqu’au jour où, enfin, la mère supérieure la fit appeler.
    — Que se passe-t-il, mon enfant ? lui demanda-t-elle avec douceur. On réclame votre présence et je m’étonne de votre peu d’empressement à y répondre. Seriez-vous souffrante ?
    — Rien de cela, ma mère, avoua Mary, mais je sors d’un veuvage et en suis encore profondément blessée. J’ai besoin de temps.
    La mère supérieure soupira.
    — Je comprends. Mais vous savez, mon enfant, on ne guérit que ce que l’on soigne. Et rien ne vaut l’amour pour se remettre du mal d’aimer.
    — Je voudrais que cela soit aussi simple.
    — Ça l’est, n’en doutez pas. Laissez parler vos instincts, laissez-vous apprivoiser par la vie et vous en retrouverez le goût. Guérissez pour le bonheur de tous, tandis que je prierai pour vous et votre époux. Croyez-moi, il faut le laisser s’en aller. Ou Notre-Seigneur ne pourra plus rien pour vous aider.
    L’allusion était claire. Mary se rendit donc au souhait de la mère supérieure, se disant qu’elle avait autrefois assez aimé les étreintes pour en retrouver le goût. D’autant qu’il y avait un fond de vérité dans son discours. Une part d’elle se nourrissait de frustration pour garder sa haine intacte. Une part d’elle ne voulait pas trahir la mémoire de Niklaus en prenant un amant. En quelques jours, elle avait puisé la force de surmonter cette servitude, et fait son choix.
    Puisque Baletti ne recherchait pas la compagnie des novices, il fallait l’aborder autrement. Séduire M. Boldoni, charmant de visage et d’allure, serait facile. A plusieurs reprises, il lui avait lancé des regards intéressés.
     
    Dans le parloir du couvent, la noblesse de Venise s’attardait sur des sofas moelleux autour de Baletti qui jouait du violon. Lorsqu’il le posa pour prendre congé malgré les ovations de son entourage, Mary se plaça au bout de la

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