La parade des ombres
Baletti, et trouvé le moyen de l’approcher. Je vais m’y employer sans plus tarder. Je souffre de l’absence de vos nouvelles et plus encore de ne pouvoir vous rejoindre.
Ma douleur s’estompe. Venise est d’une ineffable beauté et je me suis fait un ami pour servir ma cause. Il m’a appris l’italien et ce qu’il m’était indispensable de connaître sur la noblesse vénitienne et ma cible. Je suis parée. Enfin !
Même si ce Clément Cork n’est…
— Clément Cork ? l’interrompit Corneille.
— C’est cela. Tu le connais ?
— Vous aussi, capitaine. Nous l’avons abordé il y a quelques années. Il était corsaire, capitaine du Bay Daniel.
— Un fieffé coquin.
— Un ami d’enfance.
— Maman a eu de la chance de le rencontrer, conclut Junior.
Il détestait quand Forbin et Corneille s’affrontaient, ne fût-ce que d’un regard.
— Puis-je terminer ma lecture ? demanda Forbin.
Corneille hocha la tête.
— Même si ce Clément Cork n’est rien qu’un voleur notoire, appuya Forbin, ravi que Mary vienne confirmer sa pensée, il n’en reste pas moins généreux et sincère, d’autant qu’il ignore tout de ma féminité.
« Prenez soin de Junior et dites-lui ma tendresse. L’heure de notre vengeance est proche désormais. Je ne reculerai devant aucun moyen pour l’assouvir.
« Votre Mary Read.
— Je peux retourner jouer ? lança aussitôt Junior, content de ces nouvelles.
— Va, mon garçon.
À peine fut-il sorti que Forbin fixa Corneille droit dans les yeux.
— Est-il fiable, ce Cork ?
— Si Mary se recommande de moi, il le sera. Il a de l’honneur, capitaine.
— Plus que toi, j’espère, le cingla Forbin.
Corneille serra ses poings.
— Je ne veux pas reprendre cette querelle. Niklaus Olgersen nous a évincés de la même manière, capitaine.
— Mais tu brûles de la reconquérir, avoue-le.
— On ne peut pas reconquérir Mary. On ne peut que l’attendre.
— Tu as raison, convint Forbin. Mais s’il te venait à l’idée de t’allier avec ce Cork pour chercher fortune et la distraire du droit chemin…
Corneille ricana.
— Comme si Mary avait besoin de quelqu’un pour choisir sa destinée ! Nous n’en sommes pas là, capitaine. Elle-même ne sait pas à quoi elle aspirera demain. Quant à savoir vers qui elle se tournera, sa vengeance accomplie, bien fol est celui qui peut le prédire.
— Il n’empêche, s’obstina Forbin. Si tu te fais pirate avec ce Cork, je te tuerai, Corneille.
— Je l’avais bien compris, capitaine. Puis-je me retirer ? demanda-t-il, le regard fier et buté.
Pour toute réponse, Claude de Forbin s’installa à son écritoire. Corneille en conclut que l’entretien était clos.
Forbin s’employa à raconter à Mary ce qui faisait les journées de Junior, et les siennes. Comme d’ordinaire, il se refusa à parler de Corneille et lui recommanda grande prudence avec ce Cork. Il termina en insistant sur le fait qu’elle lui manquait et qu’il serait heureux de la revoir et de l’embrasser dès qu’il en aurait la possibilité.
*
Mary surveilla le couvent de Santa Maria délia Vergine comme elle avait, en son temps, surveillé les abords de l’hôtel de la Salamandre. Lorsqu’elle fut convaincue que Clément Cork avait dit vrai, elle chaparda un jupon et un corset à une fenêtre, et se changea prestement dans une encoignure.
Une lézarde profonde s’ouvrait dans un mur. Assez longue pour qu’elle y glisse son épée. Assez large pour dissimuler ses vêtements et son pistolet. Elle se débarrassa discrètement du tout, puis combla la brèche en pétrissant de la terre avec l’eau de la lagune. Il fallait mettre l’œil dessus pour la remarquer. A l’exception d’une lavandière qui battait son linge en aval du canal, l’endroit était désert. Mary se hâta de s’en écarter, se sentant plus nue soudain qu’elle ne l’avait jamais été. Elle n’avait conservé que le poignard de Niklaus et le sien qu’elle avait glissés dans ses jarretières.
La mère supérieure du couvent de Santa Maria délia Vergine la reçut avec toute la grâce qu’on peut attendre d’un lieu ainsi nommé. Elle consola les larmes de Mary avec dévouement, caressa ses cheveux dont la teinture s’était depuis longtemps envolée, les jugea d’une couleur suffisamment peu commune pour attirer l’attention de ses visiteurs et accepta que Mary se dévoue corps et âme à
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