La parade des ombres
et déchira la gorge d’un des hommes. Les quatre autres s’enragèrent et, si deux d’entre eux furent blessés, elle n’en fut pas moins réduite à merci et immobilisée.
Baletti fut contraint de la même manière.
Emma se planta devant Mary.
— Ann, ta chère petite Ann, a le même instinct de survie que toi, lui susurra-t-elle. Bientôt, Mary Read, bientôt, crois-moi, tu me supplieras.
— Ann est morte, grinça Mary, refusant de se laisser ébranler. George m’a certifié que tu t’en étais débarrassée.
— Débarrassée, c’est vrai, admit Emma. Confiée à des gens. Loin, très loin de toi. Mais elle vit, Mary. Et si tu n’es pas à moi, elle le sera.
— Je te crèverai pour ça, éructa-t-elle, de fureur et de haine.
— Pas seulement pour ça, chérie, lui assura Emma en effleurant ses lèvres des siennes. Je me suis fait une promesse, celle de ne jamais plus tolérer quiconque entre toi et moi.
Elle s’écarta d’elle en ricanant et se tourna vers Gabriel.
— A-t-on trouvé ce que j’ai demandé ?
— La pièce à côté, assura celui-ci. La fenêtre est trop haute pour qu’il puisse s’y hisser.
Emma donna un signe de tête. Mary et Baletti furent entraînés vers le cabinet du marquis. Un des mercenaires achevait d’y éparpiller livres et documents, avant de les asperger d’huile. Mary blêmit.
Baletti fut projeté vers l’avant et s’effondra au milieu de ce désordre. Comme Mary, il avait compris. Il se traîna vers la bibliothèque. Emma arma un autre pistolet et tira dans sa jambe encore valide, l’immobilisant tout à fait. Mary se mordit la lèvre pour ne pas hurler.
Emma s’approcha d’elle et lui empoigna les cheveux. Mary soutint son regard avec fierté. Elle ne lui offrirait pas ce qu’elle espérait. Emma en conçut une rage folle.
— Ça a été trop rapide avec ton Flamand, lui, je veux que tu l’entendes crier. Je veux que tu sentes jusqu’en ton âme ce que tu as fait de moi, Mary Read. Je veux que l’odeur t’en imprègne et que tu ne puisses jamais l’oublier. Ensuite, tu penseras à Ann. Chère et douce petite Ann. A la merci de mon caprice si tu t’obstines encore à me repousser.
Pour seule réponse, Mary lui cracha au visage. Emma s’écarta d’elle et Mary plongea son regard dans celui de Baletti qui tentait de se relever, combattant dignement la douleur. Quelques pas seulement le séparaient du passage secret. L’un et l’autre savaient qu’il constituait son seul espoir. Comme pour les en détourner, Emma saisit un flacon d’huile et l’envoya s’écraser aux pieds de Baletti, l’aspergeant de liquide.
— Tu es courageux, marquis, c’est une qualité que j’aime. N’as-tu rien à dire en dernière volonté ?
— Puisse le diable t’emporter, cracha-t-il seulement, livide, mais fier.
— Bienvenue dans son enfer ! ricana-t-elle en s’emparant d’une chandelle pour embraser ce qui se trouvait à portée.
Les flammes montèrent, vives et hautes, relayées de part en part par le combustible. Leur rideau de chaleur écarta vite Emma, Mary et ses hommes du spectacle, les forçant à sortir. Mais le hurlement de Baletti atteignit Mary à travers la porte fermée.
— Emmenez-la, ordonna Emma, tandis que déjà les autres pièces s’embrasaient elles aussi.
Mary ne lui offrit pas le plaisir de ses larmes. Elle les enferma dans ses poings crispés à en déchirer les jointures. Baletti ne pouvait pas en avoir réchappé.
*
— Là ! Ce sont eux, déclara Clément à Corneille.
Le doigt tendu de Cork désignait l’embarcation qui s’éloignait du palais de Baletti. Mains liées dans le dos, encadrée de deux hommes, Mary Read regardait droit devant l’horizon sombre. Comme la gondole quittait la rive, la baie vitrée du cabinet de Baletti éclata sous la pression de la chaleur.
— Mordiou ! jura Cork.
Délaissant cette fois l’ombre dans laquelle ils s’étaient plongés, ils se précipitèrent d’un même élan vers le palais. Cork avait passé la journée à sillonner Venise, grimé comme il savait le faire. Lassé de devoir se cacher, il avait décidé de faire la tournée des cabarets et des tavernes pour entendre ce qu’on racontait à son sujet. En fin de journée, il avait vu entrer un des hommes de Boldoni accompagné d’un inconnu. Ils s’étaient installés à l’écart des autres, mais pas de lui qui faisait semblant de somnoler, le visage tourné vers le mur,
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