La parade des ombres

s’immobilisa, le souffle coupé.
    Pistolet au poing, Emma de Mortefontaine jubilait du spectacle que leur sérénité offrait.
    — Toi ! cracha Mary, livide d’une haine qui brutalement lui explosa au ventre.
    Baletti, surpris, immobilisa ses doigts sur le clavier, la fixa une seconde, puis se retourna pour prendre la mesure de ce qu’il avait instinctivement deviné.
    — Vous êtes pitoyablement touchants tous deux, les salua Emma en guise de bonsoir. C’est à vomir !
    Baletti se dressa d’un bond, prêt à s’interposer entre l’arme de cette femme et Mary. Emma tira sans hésiter vers ses genoux. Il hurla de douleur et s’effondra, la rotule éclatée. Mary se précipita aussitôt vers lui, le cœur battant de colère, incapable de prononcer un mot.
    — Sauve-toi, Mary, chuchota Baletti tandis qu’elle le soutenait vers le sofa. Son arme est déchargée, sauve-toi.
    Mais Mary n’avait pas envie de fuir. Encore moins de l’abandonner. Il y avait trop longtemps qu’elle attendait de se retrouver face à face avec Emma. De toute manière, Gabriel, anticipant cette probabilité, venait de se poster devant la fenêtre. Toutes les issues de la pièce étaient gardées. Baletti assis, elle se dressa entre lui et Emma. Celle-ci la toisa avec mépris.
    — Tu as été rapide à te consoler, Mary Read. Je t’ai haïe pour cette nouvelle trahison, sais-tu ? Jusqu’à cet instant. Jusqu’à vous voir bêtifiés d’ennui et de mièvrerie.
    — Epargne-moi tes sarcasmes, Emma. Je suis une épine dans ton cœur, tu es un poignard dans le mien. Finissons-en.
    Emma ricana.
    — Et gâcher le plaisir que je pourrais prendre à te regarder me supplier ? Alors que je ne rêve que de cela depuis que tu m’as quittée à Douvres ? Imagine ma frustration.
    — Jamais. Jamais je ne te supplierai.
    — Pour lui, peut-être pas, lui accorda Emma. Mais pour elle, Mary ? Pour Ann, crois-moi, tu le feras.
    Mary serra les poings de colère. Elle ne répondit pas.
    — Il faut croire que je t’ai vraiment sous-estimée. Niklaus, ton beau Niklaus, avait raison à Breda. Je ne l’ai pas cru lorsqu’il m’a affirmé que tu les avais abandonnés, lui et ta fille, pour rejoindre Corneille.
    Mary refoula en elle les images qui lui venaient de Niklaus, blessé par ce courrier qu’Emma avait dû lui jeter à la face. Malgré sa trahison, il avait trouvé le courage de s’en servir pour tenter de les sauver tous.
    Baletti se redressa, domptant cette douleur qui l’avait paralysé.
    — Ça suffit, Emma, grinça-t-il. Emportez le crâne puisque c’est ce que vous êtes venue prendre. Emportez tout ici et fichez le camp !
    — Cela aurait pu me contenter, autrefois, marquis. Plus aujourd’hui. La république de Venise a besoin de coupables pour se laver des soupçons de Forbin. Vous en faites d’idéaux.
    — Fable grossière, personne n’y croira !
    — Forbin est un être pétri d’orgueil, tous le diront. Comment ne pas imaginer qu’il puisse avoir fabriqué cette rumeur de toutes pièces pour servir ses ambitions ? Les preuves de votre complicité avec Mary sont entre les mains du doge. Quelques faux témoignages, un courrier. Venise n’a pas été longue à choisir son intérêt.
    — Garce ! grinça-t-il.
    — Vous m’avez humiliée, marquis, tout comme toi, Mary. Vous seuls êtes responsables de ce qu’il advient. L’un et l’autre, vous m’avez rejetée quand j’avais tout à vous offrir.
    — Allons donc, tu es bien trop égoïste pour offrir quoi que ce soit, lui jeta Mary.
    — Tu te trompes. Si je ne t’avais aimée autant, je ne te persécuterais pas.
    — Orgueil, répliqua Baletti. Pas amour. Seulement orgueil.
    — Dans ton cas, mon cher…
    — Je l’ai, Madame, l’interrompit un homme en montrant un sac de cuir.
    À la forme qui le gonflait, Baletti et Mary comprirent aussitôt qu’il s’agissait du crâne de cristal.
    Un sourire jubilatoire diabolisa le visage d’Emma.
    — Et pour le reste ?
    — Tout flambera, assura l’homme.
    — Qu’y gagneras-tu, Emma ? tenta Mary, sachant combien le marquis était détaché du matériel.
    Emma adressa un signe de tête à ses hommes. Mary les vit s’approcher d’elle. Elle ne se laisserait pas emmener ou tuer sans se battre. Elle joua des poings et des pieds, tant qu’elle put, sachant que ce serait inutile, mais cette violence qu’elle déchaîna lui fit du bien. Elle parvint à s’emparer d’un poignard