La parfaite Lumiere
encore trop tôt pour se marier et
fonder une famille. La longue et difficile Voie du sabre s’étendait encore
devant lui ; son désir de la suivre n’avait pas tiédi.
Que son attitude envers le sabre
eût changé ne simplifiait pas la question. Depuis Hōtengahara, le sabre du
conquérant et le sabre du tueur appartenaient au passé, n’avaient plus ni usage
ni signification.
Etre un technicien, même un
technicien qui instruisait des hommes de la suite du shōgun, ne
l’intéressait pas non plus. La Voie du sabre, telle qu’il en était venu à la
considérer, devait avoir des objectifs spécifiques : établir l’ordre,
protéger et raffiner l’esprit. La Voie, les hommes devaient la pouvoir chérir
comme ils chérissaient leur vie, jusqu’à leur dernier jour. Si elle existait,
ne pouvait-elle servir à apporter la paix au monde et le bonheur à tous ?
Quand Musashi avait répondu à la
lettre de Sukekurō par un défi lancé au seigneur Munenori, son motif
n’avait pas été le frivole besoin de remporter une victoire, besoin qui l’avait
poussé à défier Sekishūsai. Maintenant, il désirait s’engager dans l’art
de gouverner. Pas sur une vaste échelle, bien sûr ; un petit fief
insignifiant suffirait car les activités qu’imaginait Musashi favoriseraient la
cause d’un bon gouvernement.
Mais il manquait de la confiance
nécessaire pour exprimer ses idées, estimant que d’autres hommes d’épée
rejetteraient comme absurdes ses ambitions juvéniles. Ou bien, s’ils le prenaient
au sérieux, ils se croiraient obligés de le mettre en garde : la politique
mène à la destruction ; en entrant au gouvernement, il souillerait son
bien-aimé sabre. Ils feraient cela par intérêt authentique envers son âme.
Il allait jusqu’à croire que s’il
exprimait sincèrement le fond de sa pensée, les deux hommes de guerre et le
prêtre réagiraient soit par le rire, soit par l’inquiétude.
Lorsque enfin il parla, ce fut
pour protester : il était trop jeune, trop immature, son entraînement
était inadéquat... Takuan finit par l’interrompre :
— Remets-t’en à nous.
— Nous veillerons à ce que
cela tourne bien pour vous, ajouta le seigneur Ujikatsu.
L’affaire fut conclue.
Shinzō, lequel entrait de
temps en temps pour émécher la lampe, avait saisi l’essentiel de la
conversation. Il fit doucement savoir à son père et aux invités que ce qu’il
avait entendu lui causait un plaisir immense.
Le caroubier
Matahachi ouvrit les yeux, les
promena autour de lui, se leva et passa la tête par la porte du fond.
— Akemi ! appela-t-il.
Pas de réponse.
Il eut l’idée d’ouvrir l’armoire.
Akemi venait de terminer la confection d’un nouveau kimono. Il avait disparu.
D’abord, Matahachi se rendit chez
le voisin, Umpei, puis suivit l’allée en direction de la rue, demandant
anxieusement à tous les gens qu’il rencontrait s’ils l’avaient vue.
— Je l’ai vue ce matin,
répondit la femme du marchand de charbon de bois.
— Vraiment ? Où
donc ?
— Elle était sur son trente
et un. Je lui ai demandé où elle allait comme ça, et elle m’a dit : voir
de la famille à Shinagawa.
— A Shinagawa ?
— Elle n’a donc pas de
famille là-bas ? demanda la commère, sceptique.
Il allait répondre que non, mais
se ravisa :
— Heu... si, bien sûr. Voilà
où elle est partie.
Courir après elle ? A la
vérité, il ne lui était pas spécialement attaché, et se sentait plus agacé
qu’autre chose. Sa disparition lui laissait dans la bouche un goût doux-amer.
Il cracha, lâcha un juron ou deux
puis descendit en flânant à la plage, de l’autre côté de la grand-route de
Shibaura. Un peu en retrait de l’eau s’éparpillaient quelques maisons de
pêcheurs. Il avait coutume de venir ici chaque matin chercher du poisson tandis
qu’Akemi faisait cuire du riz. En général, au moins cinq ou six poissons
étaient tombés des filets, et il rentrait juste à temps pour les faire cuire
pour le petit déjeuner. Ce jour-là, il ignora le poisson.
— Qu’est-ce qui vous arrive,
Matahachi ? demanda le prêteur sur gages de la rue principale en lui
tapant sur l’épaule.
— Bonjour, dit Matahachi.
— C’est agréable de sortir de
bonne heure, hein ? C’est un plaisir que de vous voir faire votre petit
tour chaque matin. Merveilleux pour la santé !
— Vous plaisantez, je
suppose. Si j’étais aussi riche que
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