La parfaite Lumiere
moins que tu n’aies des ailes, tu ferais mieux de renoncer. Sinon, tu
es mort.
Iori revint en silence à la
fourche de deux branches. Jōtarō grimpait lentement, prudemment.
Lorsqu’il tendit la main pour le saisir, Iori s’éloigna de nouveau. Avec un
grognement, Jōtarō empoigna une branche à deux mains et commença à se
hisser en l’air, fournissant à Iori l’occasion qu’il avait attendue. D’un coup
sonore, son sabre frappa la branche sur laquelle était Jōtarō. Elle
se rompit, et Jōtarō tomba au sol comme une pierre.
— Qu’est-ce que tu penses de
ça, voleur ? triompha Iori.
Sa chute ayant été amortie par des
branches basses, Jōtarō n’eut de blessure grave que d’amour-propre.
Il jura et recommença à grimper, cette fois à la vitesse d’une panthère.
Lorsqu’il fut de nouveau sous les pieds d’Iori, ce dernier fit des moulinets de
son sabre pour l’empêcher d’approcher.
Ils se trouvaient dans cette
situation sans issue quand les sons plaintifs d’un shakuhachi leur
parvinrent aux oreilles. Un instant, tous deux s’arrêtèrent pour écouter. Puis
Jōtarō décida de tenter de raisonner son adversaire :
— Bon, dit-il, tu te bats mieux
que je ne m’y attendais. Je t’admire. Si tu me dis qui t’a demandé de me
suivre, je te laisse aller.
— Avoue que tu es
battu !
— Tu perds la tête ?
— Je ne suis peut-être pas
bien grand mais je suis Misawa Iori, l’unique disciple de Miyamoto Musashi. Demander
merci serait une insulte à la réputation de mon maître. Renonce !
— Qu... quoi ? fit
Jōtarō, incrédule. Ré... répète ?
Il avait une voix aiguë,
incertaine.
— Ecoute-moi bien, dit Iori
avec orgueil. Je suis Misawa Iori, l’unique disciple de Miyamoto Musashi. Ça
t’étonne ?
Jōtarō était disposé à
s’avouer vaincu. Avec un mélange de doute et de curiosité, il demanda :
— Comment va mon
maître ? Il va bien ? Où est-il ?
Stupéfait, mais se maintenant à
distance respectueuse de Jōtarō qui se rapprochait, Iori dit :
— Ha ! Sensei n’aurait jamais un voleur pour disciple.
— Ne me traite pas de voleur.
Musashi ne t’a jamais parlé de Jōtarō ?
— Jōtarō ?
— Si tu es réellement le
disciple de Musashi, tu dois l’avoir entendu citer mon nom à un moment ou à un
autre. J’avais à peu près ton âge, alors.
— Tu mens.
— Non. C’est la vérité.
Envahi de nostalgie,
Jōtarō tendit la main vers Iori et tenta d’expliquer qu’ils devaient
être amis puisqu’ils étaient disciples du même maître. Encore circonspect, Iori
lui envoya un coup dans les côtes.
En équilibre précaire entre deux
branches, Jōtarō parvint tout juste à saisir Iori par le poignet.
Pour une raison quelconque, Iori lâcha la branche à laquelle il s’accrochait.
Ils tombèrent ensemble, et atterrirent l’un sur l’autre en perdant connaissance.
Dans la nouvelle maison de Musashi
la lumière était visible de toutes les directions : bien que le toit fût
en place, les murs n’avaient pas encore été construits.
Takuan, arrivé la veille en
visite, avait résolu d’attendre le retour de Musashi. Ce jour-là, tout de suite
après la tombée de la nuit, sa solitude avait été troublée par un prêtre
mendiant qui demandait de l’eau chaude afin de préparer son souper.
Après son maigre repas de
boulettes de riz, le vieux prêtre avait pris sur lui de jouer de son shakuhachi à l’intention de Takuan ; il maniait son instrument de manière hésitante,
en amateur. Pourtant, cette musique impressionna Takuan : elle exprimait
un sentiment authentique, quoique sur le mode sans art des poèmes écrits par
des non-poètes. Takuan croyait aussi pouvoir reconnaître l’émotion que l’interprète
essayait d’arracher à son instrument. C’était le remords, de la première fausse
note à la dernière : un cri plaintif de repentir.
Il semblait que ce fût l’histoire
de la vie de cet homme ; mais alors, se dit Takuan, elle ne pouvait pas
être tellement différente de la sienne propre. Grand homme ou non, la vie
intérieure ne différait guère de l’un à l’autre. Aux yeux de Takuan, lui-même
et son compagnon étaient fondamentalement un faisceau d’illusions enveloppées
dans de la peau humaine.
— Il me semble vraiment vous
avoir déjà vu quelque part, murmura Takuan, songeur.
Le prêtre cligna de ses yeux
presque aveugles, et répondit :
— Maintenant que vous
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