La parfaite Lumiere
chose.
— Je suis content que nous
soyons d’accord. Mais en fait, la vérité de l’érudit, seul dans son cabinet de
travail, ne s’accorde pas toujours avec ce que le gros du monde considère comme
vrai.
— Vous croyez donc que la
vérité que nous cherchons, vous et moi, est sans utilité dans le monde réel.
— Non, ce n’est pas cela,
répondit Musashi avec impatience. Aussi longtemps que ce pays existera, les
choses auront beau changer, la Voie de l’esprit du brave ne cessera jamais
d’être utile... Si tu réfléchis, tu verras que la Voie du gouvernement n’est
pas concernée par le seul Art de la guerre. Un système politique impeccable
doit reposer sur un parfait mélange des arts militaire et littéraire. Faire
vivre en paix le monde est le but suprême de la Voie du sabre. Voilà pourquoi
j’en suis arrivé à la conclusion que mes pensées ne sont que des rêves, et des
rêves puérils, de surcroît. Je dois apprendre à être l’humble serviteur de deux
dieux, l’un du sabre, l’autre de la plume. Avant d’essayer de gouverner la
nation, je dois apprendre ce que la nation a à m’enseigner.
Il conclut par un éclat de rire,
mais l’interrompit soudain pour demander à Gonnosuke s’il avait un encrier ou
une écritoire. Quand il eut fini d’écrire, il plia sa lettre et dit à Gonnosuke :
— ... Je regrette de t’ennuyer,
mais je voudrais te prier de remettre ceci de ma part.
— A la résidence Hōjō ?
— Oui. Je me suis pleinement
expliqué par écrit sur ce que j’éprouve. Fais part à Takuan et au seigneur
Ujikatsu de mes salutations les plus chaleureuses... Ah ! autre chose. Je
gardais ceci, qui appartient à Iori. Sois gentil de le lui remettre.
Il tira la bourse que le père
d’Iori lui avait laissée, et la posa à côté de la lettre. L’air inquiet,
Gonnosuke s’avança à genoux et demanda :
— Pourquoi rendez-vous ceci à
Iori maintenant ?
— Je vais dans les montagnes.
— Montagnes ou ville, où que
vous alliez, Iori et moi voulons vous accompagner en tant que disciples.
— Je ne m’en vais pas pour
toujours. En mon absence, je voudrais que tu prennes soin d’Iori, disons durant
deux ou trois ans.
— Quoi ? Vous vous
retirez ?
Musashi se mit à rire, décroisa
les jambes et s’appuya en arrière sur ses bras.
— Pour ça, je suis beaucoup
trop jeune. Je ne renonce pas à ma grande espérance. J’ai encore tout devant
moi : désir, illusion, tout... Il y a une chanson... Je ne sais qui l’a
écrite, mais elle dit :
Tout
en désirant gagner
Les
profondeurs des montagnes,
Je
suis poussé contre ma volonté
Vers
les endroits
Où
habitent les gens.
Gonnosuke baissa la tête en
écoutant.
Puis il se leva et fourra dans son
kimono lettre et bourse.
— Je ferais mieux de partir
maintenant, dit-il doucement. La nuit tombe.
— Très bien. Sois gentil de
restituer le cheval, et de dire au seigneur Ujikatsu que puisque les vêtements
sont salis par le voyage, je les garde.
— Oui, bien sûr.
— Je crois qu’il serait
indiscret de ma part de retourner chez le seigneur Ujikatsu. La nomination
annulée doit signifier que le shōgunat me considère comme peu sûr et
suspect. Une association plus étroite avec moi risquerait de causer des ennuis
au seigneur Ujikatsu. Je ne l’ai pas écrit dans ma lettre ; je désire donc
que tu le lui expliques. Dis-lui que j’espère qu’il ne m’en veut pas.
— Je comprends. Je serai de
retour avant le jour.
Le soleil se couchait rapidement.
Gonnosuke prit le cheval par la bride et s’éloigna dans l’allée. Comme on
l’avait prêté à Musashi, à aucun moment l’idée de le monter ne lui vint à
l’esprit.
Il arriva à Ushigome environ deux
heures plus tard. Les hommes, assis en cercle, se demandaient ce que devenait Musashi.
Gonnosuke les rejoignit et remit la missive à Takuan.
Un émissaire était déjà passé les
informer qu’il y avait eu des rapports défavorables sur le caractère et les
activités passées de Musashi. De tous les griefs retenus contre lui, le plus
grave était qu’il avait un ennemi qui avait juré vengeance. D’après la rumeur,
Musashi se trouvait dans son tort. L’émissaire étant reparti, Shinzō avait
raconté à son père et à Takuan la visite d’Osugi.
— Elle a même essayé de faire
son boniment ici, dit-il.
Ce qui demeurait inexpliqué,
c’était pourquoi les gens prenaient ainsi pour argent comptant ce
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