La parfaite Lumiere
qu’on leur
racontait. Non seulement les gens ordinaires – les femmes qui
cancanaient autour du puits ou les ouvriers qui buvaient dans les débits de saké
bon marché –, mais des hommes assez intelligents pour distinguer la
réalité du mensonge. Les ministres du shōgun avaient discuté la question
durant de longues heures ; pourtant, même eux avaient fini par accorder
créance aux calomnies d’Osugi.
Takuan et les autres s’attendaient
un peu à ce que la lettre de Musashi exprimât sa contrariété ; mais en
réalité, elle ne faisait guère que donner la raison de son départ. Il
commençait par déclarer qu’il avait prié Gonnosuke de leur faire part de ce
qu’il éprouvait. Puis venait la chanson qu’il avait chantée à Gonnosuke. La
courte missive se terminait ainsi : « M’abandonnant à mon chronique
goût de l’errance, je pars pour un autre voyage sans but. A cette occasion, je
vous offre le poème suivant qui vous amusera peut-être :
Au
sein de l’univers
Se
trouve certes mon jardin ;
Quand
je le regarde,
Je
me tiens à la sortie de
La
maison nommée « Le Monde fluctuant ».
Le respect de Musashi toucha
profondément Ujikatsu et Shinzō ; Ujikatsu n’en déclara pas
moins :
— Il est trop discret.
J’aimerais le voir encore une fois avant son départ. Takuan, je doute qu’il
vienne si nous l’envoyons chercher ; aussi, allons à lui.
Il se leva, prêt à partir
aussitôt.
— Pourriez-vous attendre un
instant, monsieur ? demanda Gonnosuke. J’aimerais vous accompagner, mais
Musashi m’a prié de remettre quelque chose à Iori. Pourriez-vous le faire venir
ici ?
En entrant, Iori dit :
— Vous m’avez fait
demander ?
Ses yeux se portèrent aussitôt sur
la bourse que tenait Gonnosuke.
— Musashi dit que tu dois
prendre bien soin de ceci, déclara Gonnosuke, car c’est l’unique souvenir qui
te reste de ton père.
Il expliqua alors que tous deux
demeureraient ensemble jusqu’au retour de Musashi. Iori ne pouvait cacher sa
déception ; pourtant, ne voulant pas paraître faible, il approuva de la
tête sans conviction. En réponse aux questions de Takuan, Iori raconta tout ce
qu’il savait de ses parents. Une fois les questions épuisées, il déclara :
— Une chose que je n’ai
jamais sue, c’est ce que ma sœur est devenue. Mon père ne m’en a pas dit
grand-chose, et ma mère est morte sans me révéler quoi que ce soit dont je me
souvienne. Je ne sais pas où elle vit, ni même si elle est vivante ou morte.
Takuan posa la bourse sur son
genou, et en tira un morceau de papier froissé. Tandis qu’il lisait le message
énigmatique rédigé par le père d’Iori, la surprise lui fit hausser les sourcils.
Regardant fixement Iori, il dit :
— Voici qui nous apprend
quelque chose au sujet de ta sœur.
— Je le supposais, mais je ne
comprenais pas, non plus que le prêtre du Tokuganji.
Sautant la première partie, Takuan
lut à voix haute :
— « Etant donné que
j’avais résolu de mourir de faim plutôt que de servir un second seigneur, ma
femme et moi avons erré durant des années, menant la vie la plus humble. Une
année, nous avons dû abandonner notre ville dans un temple des provinces du
centre. Nous avons mis la musique des sphères dans ses vêtements de
bébé, et confié son avenir au seuil de compassion. Puis nous sommes passés dans
une autre province... Plus tard, j’ai acquis ma chaumière dans les champs de Shimōsa.
J’ai repensé à cette époque antérieure ; mais l’endroit était éloigné, et
nous étions sans nouvelles ; aussi ai-je craint qu’il ne fût pas de
l’intérêt de la fille d’essayer de la retrouver. En conséquence, j’ai laissé
les choses en l’état... Combien certains parents peuvent être cruels ! Je
suis blâmé par les paroles de Minamoto no Sanetomo :
Les
animaux eux-mêmes,
Incapables
d’exprimer leurs sentiments par la parole,
Ne
sont point privés du
Tendre
et généreux amour
Des
parents pour leur progéniture.
« Puissent mes ancêtres avoir
pitié de moi qui ai refusé de flétrir mon honneur de samouraï en prenant un
second seigneur ! Tu es mon fils. Quelle que soit ton ambition, ne mange pas
le millet du déshonneur ! »
En replaçant le papier dans la
bourse, Takuan déclara :
— ... Tu pourras voir ta
sœur. Je la connais depuis ma jeunesse. Musashi la connaît aussi. Viens avec
nous, Iori.
Il n’indiquait pas la
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