La parfaite Lumiere
voir de la bonne peinture – fresques ou rouleaux
accrochés dans les alcôves –, ce qui lui avait donné un vif intérêt pour
l’art.
La simplicité aristocratique et la
subtile profondeur du tableau sur les châtaignes de Liang-k’ai lui avaient fait
une impression particulièrement profonde. Après avoir vu cette œuvre chez Kōetsu,
il avait saisi toutes les occasions d’admirer les précieuses peintures
chinoises de la dynastie Sung, les ouvrages des maîtres zen japonais du XV e siècle, et les peintures des
maîtres contemporains de l’école Kanō, en particulier Kanō Sanraku et
Kaihō Yūshō. Bien entendu, il y avait ce qu’il aimait et ce
qu’il n’aimait pas. L’audacieux et viril coup de pinceau de Liang-k’ai, vu par
son œil d’homme d’épée, le frappait comme révélant la force prodigieuse d’un
géant. Kaihō Yūshō, peut-être parce qu’il descendait de
samouraïs, avait dans sa vieillesse atteint un si haut degré de pureté que
Musashi le considérait comme digne d’être pris pour modèle. Il était aussi
attiré par les effets de lumière imprévus des œuvres du prêtre ermite et
esthète Shōkadō Shōjō, qu’il aimait d’autant plus qu’il
passait pour être ami intime de Takuan.
La peinture, qui semblait fort
éloignée de la voie qu’il avait choisie, n’était guère un art pour un homme qui
séjournait rarement un mois entier au même endroit. Il n’en peignait pas moins
de temps à autre.
Comme chez les autres adultes qui
avaient oublié l’art de dessiner, son mental travaillait, mais non son esprit.
Désireux de dessiner avec adresse, il était incapable de s’exprimer de façon
naturelle. Maintes fois, il s’était découragé et avait renoncé. Et puis, tôt ou
tard, une impulsion quelconque lui faisait reprendre le pinceau... en secret.
Honteux de sa peinture, il ne la montrait jamais à autrui bien qu’il permît aux
gens de regarder sa sculpture.
C’est-à-dire, jusqu’à maintenant.
Pour commémorer ce jour fatidique, il résolut de peindre un tableau que le shōgun,
ou n’importe qui d’autre, pussent voir.
Il travailla vite et sans
interruption jusqu’à ce que cela fût terminé. Puis il mit tranquillement le
pinceau dans un verre d’eau, et partit sans un seul regard en arrière à son
œuvre.
Dans la cour, il se retourna bien
pour jeter un dernier regard à la porte imposante ; une question lui
emplissait l’esprit : la gloire était-elle en deçà ou au-delà de la
porte ?
Sakai Tadakatsu retourna dans
l’antichambre et s’assit un moment, les yeux fixés sur la peinture encore
humide. Le tableau représentait la plaine de Musashino. Au milieu, très vaste,
le soleil levant. L’astre, qui symbolisait la confiance de Musashi en sa propre
intégrité, était vermillon. Le reste de l’ouvrage était exécuté à l’encre afin
de rendre le sentiment de l’automne sur la plaine.
Tadakatsu se dit :
« Nous avons perdu un tigre au profit de la brousse. »
La musique des sphères
— Déjà de retour ? dit
Gonnosuke, clignant des yeux à la vue de Musashi en vêtements de cérémonie
raides d’empois.
Musashi entra dans la maison et
s’assit. Gonnosuke s’agenouilla au bord de la natte de roseaux et
s’inclina :
— Félicitations, dit-il avec
chaleur. Devrez-vous aller travailler tout de suite ?
— La nomination a été
annulée, répondit en riant Musashi.
— Annulée ? Vous
plaisantez ?
— Non. Et, qui plus est, je
considère que c’est une bonne chose.
— Je ne comprends pas.
Savez-vous ce qui s’est passé ?
— Je n’ai vu aucune raison de
le demander. Je remercie le ciel de la façon dont les choses ont tourné.
— Mais ça paraît
dommage !
— Alors, même toi, tu es
d’avis que je ne peux trouver la gloire que dans l’enceinte du château
d’Edo ?
Gonnosuke ne répondit pas.
— ... Un temps, j’ai eu pareille
ambition. J’ai rêvé d’appliquer ma compréhension du sabre au problème
consistant à apporter paix et bonheur au peuple, transformant la Voie du sabre
en Voie du gouvernement.
— Quelqu’un vous a calomnié.
C’est bien ça ?
— Peut-être, mais je n’y pense
plus. Et comprends-moi bien. J’ai appris, surtout aujourd’hui, que mes idées ne
sont guère plus que des rêves.
— Ce n’est pas vrai. J’ai eu
la même idée ; la Voie du sabre et l’esprit du bon gouvernement devraient
être une seule et même
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