La parfaite Lumiere
bois ?
— Oui, et alors ?
— Nous n’avons pas besoin de
toi. File chez toi.
— C’est justement ce que je
vais faire.
Il tira sur la corde ; un
homme lui décocha un regard qui eût fait trembler d’effroi la plupart des
jeunes garçons.
— ... Ecartez-vous de là, dit
Ushinosuke.
— Cette dame vient avec nous.
— Où ça ?
— Qu’est-ce que ça peut te
faire ? Donne-moi cette corde.
— Non !
— Dis donc, il ne me prend
pas au sérieux.
Les deux autres hommes, bombant le
torse, l’air menaçant, marchèrent sur Ushinosuke.
Otsū s’agrippait à l’échine
du bœuf. Le froncement de sourcils d’Ushinosuke disait fort clairement ce qui
allait se passer.
— Oh ! non,
arrête ! s’écria-t-elle, dans l’espoir d’empêcher le garçon de se livrer à
des actes de violence.
Mais la note plaintive qu’il y
avait dans la voix de la jeune fille ne réussit qu’à exciter le jeune garçon à
l’action. Il donna un vif coup de pied, atteignit l’homme qui se trouvait
devant lui, l’envoya chanceler en arrière. A peine le pied d’Ushinosuke eut-il
repris contact avec le sol qu’il envoya un coup de tête dans le ventre de
l’homme qui se tenait à sa gauche. En même temps, il empoignait le sabre de cet
homme et le tirait de son fourreau. Alors, il se mit à faire des moulinets.
Il se déplaçait à la vitesse de
l’éclair. Il tourbillonnait et semblait attaquer dans toutes les directions à
la fois ses trois adversaires simultanément avec une égale force. Soit que son
action brillante fût instinctive ou due à une intrépidité d’enfant, sa tactique
peu orthodoxe prit les rōnins par surprise.
Il plongea son sabre dans la
poitrine de l’un des hommes. Otsū hurla mais sa voix fut couverte par celle
du blessé. Il tomba en direction du bœuf ; un geyser de sang jaillit à la
face de l’animal. Epouvanté, le bœuf poussa un cri indescriptible. A cet
instant, le sabre d’Ushinosuke lui entailla profondément la croupe. Le bœuf
partit au galop. Les deux autres rōnins se précipitèrent vers Ushinosuke,
qui bondissait agilement de roc en roc dans le lit du cours d’eau.
— Je n’ai rien fait de
mal ! C’est vous ! braillait-il.
Les deux rōnins, se rendant
compte qu’il leur échappait, coururent après le bœuf. Ushinosuke regagna d’un
saut la route et se mit à leurs trousses en vociférant :
— ... Vous fuyez ? Vous
fuyez ?
L’un des hommes fit halte et se
retourna à demi :
— Espèce de petit
salaud !
— Garde-le pour plus
tard ! lui lança l’autre homme.
Le bœuf, aveuglé de frayeur,
quitta la route de la vallée et s’élança au sommet d’une colline, en suivit un
court moment la crête, puis plongea de l’autre côté. En très peu de temps il couvrit
une distance considérable et parvint non loin du fief de Yagyū.
Otsū, les yeux clos,
résignée, réussit à éviter d’être jetée à terre en s’accrochant au bât. Elle
entendait les voix des gens qu’ils dépassaient, mais était trop commotionnée
pour appeler au secours. Non que cela eût servi à quoi que ce fût. Aucune des
personnes qui commentaient le spectacle n’avait le courage d’arrêter la bête
affolée.
Lorsqu’ils eurent presque atteint
la plaine de Hannya, un homme sortant d’un chemin latéral déboucha sur la
grand-route de Kasagi. Il portait à l’épaule un étui à lettre, et paraissait un
serviteur quelconque. Les gens criaient : « Attention !
Garez-vous ! », mais il continuait de marcher en plein sur le trajet
du bœuf.
On entendit alors un terrible
craquement.
— Il a été réduit en
bouillie !
— L’imbécile !
Mais ce n’était pas ce qu’avaient
d’abord cru les badauds. Le son qu’ils avaient perçu n’était pas celui du bœuf
heurtant l’homme, mais de l’homme portant un coup d’assommoir au côté de la
tête de l’animal. Le bœuf leva latéralement sa lourde encolure, fit demi-tour
et repartit dans l’autre direction. Il n’avait pas fait trois mètres qu’il
s’arrêta pile, bavant, tremblant de tout son corps.
— Descendez vite, dit l’homme
à Otsū.
Les badauds excités
s’attroupaient, l’œil fixé sur le pied de l’homme, solidement planté sur la
corde.
Une fois sur la terre ferme, Otsū
s’inclina devant son sauveteur, bien qu’elle fût encore trop étourdie pour
savoir où elle était ou ce qu’elle faisait.
— ... Qu’est-ce qui a bien pu
rendre fou un
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