La parfaite Lumiere
combien tu es triste. Pardonne-moi de n’être
pas un bon fils.
Après quoi, avec obéissance, il
tendit le cou. Hyōgō éclata de rire et remit son sabre au fourreau.
Tapotant le dos d’Ushinosuke, il lui dit :
— Tu ne crois pas vraiment
que je tuerais un garçon comme toi, n’est-ce pas ?
— Ce n’était pas
sérieux ?
— Mais non !
— Vous parliez de
l’importance de la bonne conduite. Est-ce bien, de la part d’un samouraï, de
faire des plaisanteries pareilles ?
— Ce n’était pas une
plaisanterie. Si tu vas t’entraîner pour devenir samouraï, je dois savoir de
quel métal tu es fait.
— Je croyais que vous étiez
sérieux, dit Ushinosuke, dont la respiration redevenait normale.
— Tu m’as déclaré que tu
n’avais pas pris de leçons, fit Hyōgō. Or, quand je t’ai poussé en
bordure de la salle, tu as sauté par-dessus mon épaule. Peu d’élèves, même au
bout de trois ou quatre ans d’entraînement, seraient capables d’un tel exploit.
— Pourtant, je n’ai jamais
étudié avec personne.
— Il n’y a pas de raison de
le cacher. Tu dois avoir eu un maître, et un bon. Qui était-ce ?
Le garçon réfléchit quelques
instants, puis répondit :
— Oh ! je me souviens
comment j’ai appris ça.
— Qui te l’a enseigné ?
— Ce n’était pas un être
humain.
— Un lutin, peut-être ?
— Non, une graine de chanvre.
— Quoi ?
— Une graine de chanvre.
— Comment donc as-tu pu
apprendre d’une graine de chanvre ?
— Eh bien, là-haut, dans les
montagnes, il y a de ces combattants... vous savez, ceux qui semblent
disparaître en plein sous vos yeux. Je les ai regardés s’entraîner une ou deux
fois.
— Tu veux parler des ninjas,
n’est-ce pas ? Ce doit être le groupe d’Iga que tu as vu. Mais quel
rapport avec une graine de chanvre ?
— Eh bien, une fois que l’on
a planté le chanvre au printemps, une petite pousse n’est pas longue à lever.
— Et alors ?
— On saute par-dessus. Chaque
jour, on s’entraîne à sauter dans les deux sens. Quand le temps devient plus
chaud, le chanvre pousse vite – rien ne pousse aussi vite ;
aussi doit-on sauter plus haut de jour en jour. Si l’on ne s’exerce pas chaque
jour, bientôt le chanvre devient si haut que l’on ne peut plus sauter
par-dessus.
— Je vois.
— Je l’ai fait l’an dernier,
et l’année d’avant. Du printemps à l’automne.
A cet instant, Sukekurō entra
dans le dōjō et dit :
— Hyōgō, voici une
autre lettre d’Edo.
Après l’avoir lue, Hyōgō
demanda :
— Otsū ne peut être bien
loin, n’est-ce pas ?
— Pas plus d’une huitaine de
kilomètres, sans doute. Il y a du nouveau ?
— Oui. Takuan dit que la
nomination de Musashi a été annulée. Ils semblent avoir des doutes sur son
caractère. Je ne crois pas que nous devrions laisser Otsū continuer
jusqu’à Edo sans la mettre au courant.
— J’y vais.
— Non. J’y vais moi-même.
Sur un signe de tête à Ushinosuke,
Hyōgō quitta le dōjō pour aller tout droit à l’écurie.
Il était à mi-chemin d’Uji
lorsqu’il eut des doutes ; l’absence de nomination de Musashi ne
changerait rien pour Otsū ; ce qui lui importait, c’était l’homme
lui-même, et non son rang. Même si Hyōgō parvenait à la convaincre de
rester un peu plus longtemps à Koyagyū, elle voudrait à coup sûr gagner
Edo. A quoi bon gâcher son voyage en lui apprenant la mauvaise nouvelle ?
Il fit demi-tour en direction de Koyagyū,
et ralentit son allure. Il avait beau paraître en paix avec le monde, une
bataille furieuse faisait rage dans son cœur. Si seulement il pouvait voir Otsū
encore une fois !
Il tenta de maîtriser ses
émotions. Les guerriers avaient leurs moments de faiblesse, leurs moments de
folie, comme tout le monde. Son devoir, celui de tout samouraï n’en était pas
moins clair : persévérer jusqu’à atteindre un état d’équilibre stoïque.
Une fois qu’il aurait franchi la barrière de l’illusion, son âme serait légère
et libre, ses yeux ouverts aux saules verdoyants qui l’entouraient, au moindre
brin d’herbe. L’amour n’était pas la seule émotion capable d’enflammer un cœur
de samouraï. Son monde était un autre monde.
— Quelle foule !
remarqua Hyōgō, le cœur léger.
— Oui ; il ne fait pas
souvent aussi beau à Nara, répondit Sukekurō.
— On dirait une partie de
campagne.
A quelques
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