La parfaite Lumiere
allait dire, et se trouva nez à
nez avec Ushinosuke.
— Qu’est-ce que tu
veux ? gronda Ushinosuke.
— Qu’est-ce que tu veux
dire ? aboya Iori.
Le considérant avec la froideur
que les gens de la campagne réservent aux étrangers, Ushinosuke lui
lança :
— Tu es celui qui nous a
appelés !
— Quiconque prend les
affaires de quelqu’un d’autre est un voleur !
— Un voleur ! Pourquoi,
espèce de salaud ?
— Cette natte nous appartient.
— Cette natte ? Je l’ai
trouvée par terre. C’est là tout ce qui te tracasse ?
— Une natte, c’est important
pour un voyageur, dit Iori non sans une certaine emphase. Elle le protège de la
pluie, lui fournit quelque chose sur quoi dormir. Et ainsi de suite.
Rends-la-moi !
— Tu peux la ravoir, mais
retire d’abord le mot de voleur !
— Je n’ai pas à m’excuser de
reprendre ce qui nous appartient. Si tu ne me la rends pas, je te la
reprendrai !
— Essaie un peu. Je suis
Ushinosuke d’Araki. Je n’ai pas l’intention de me laisser vaincre par un nabot
comme toi. Je suis le disciple d’un samouraï.
— Vraiment ? dit Iori en
se redressant. Tu fais le fanfaron avec tous ces gens autour de toi, mais tu
n’oserais pas te battre si nous étions seuls.
— Je n’oublierai pas ça !
— Viens ici plus tard.
— Où ?
— Près de la pagode. Viens
seul.
Ils se séparèrent ;
Ushinosuke alla chercher le thé ; lorsqu’il revint avec une théière en
terre, il défia Iori du regard. Les yeux d’Iori lui répondirent. Tous deux
croyaient que seule comptait la victoire.
La foule bruyante poussait de-ci
de-là, soulevant des nuages de poussière jaune. Au centre du cercle se tenait
un prêtre avec une longue lance. L’un après l’autre, ses rivaux s’avançaient
pour le défier. L’un après l’autre, ils étaient abattus ou volaient dans les
airs.
— Approchez ! criait-il,
mais à la fin nul ne vint plus. S’il n’y a personne d’autre, je m’en vais. Y
a-t-il une objection à me déclarer, moi, Nankōbō, le vainqueur ?
Après avoir étudié sous In’ei, il
avait créé un style à lui et était maintenant le principal rival d’Inshun,
absent ce jour-là sous prétexte de maladie. Nul ne savait s’il avait peur de Nankōbō,
ou préférait éviter un conflit. Personne ne se présenta ; le robuste
prêtre abaissa sa lance, la tint à l’horizontale et annonça :
— ... Il n’y a aucun défi.
— Attendez ! cria un
prêtre en courant vers Nankōbō. Je suis Daun, un disciple d’Inshun.
Je vous défie.
— Préparez-vous.
Après s’être inclinés l’un devant
l’autre, les deux hommes se séparèrent d’un bond. Leurs deux lances restèrent
en arrêt l’une en face de l’autre, comme des êtres vivants, si longtemps que la
foule, qui s’ennuyait, se mit à leur crier d’agir. Puis tout d’un coup les
vociférations cessèrent. La lance de Nankōbō frappa Daun à la
tête ; pareil à un épouvantail renversé par le vent, son corps pencha
lentement d’un côté puis s’abattit soudain. Trois ou quatre lanciers
s’avancèrent en courant, non pour tirer vengeance mais seulement pour emporter
le corps. Nankōbō bomba le torse avec arrogance et inspecta la foule.
— ... Il semble qu’il reste
quelques braves. Si oui, approchez.
Un prêtre montagnard s’avança de
derrière une tente, déposa la malle qu’il portait sur le dos, et demanda :
— Le tournoi n’est-il ouvert
qu’aux lanciers du Hōzōin ?
— Non, répondirent en chœur
les prêtres du Hōzōin.
Le prêtre s’inclina.
— Dans ce cas, j’aimerais
m’essayer. Quelqu’un peut-il me prêter un sabre de bois ?
Hyōgō jeta un coup d’œil
à Sukekurō et dit :
— Voilà qui devient
intéressant.
— Oui.
— Le résultat ne fait aucun
doute.
— Je ne crois pas que Nankōbō
risque de perdre.
— Ce n’est pas ce que je
voulais dire. Je ne crois pas que Nankōbō acceptera le combat. S’il
l’accepte, il perdra.
Sukekurō parut perplexe, mais
ne demanda pas d’explication.
Quelqu’un tendit au prêtre vagabond
un sabre de bois. Il s’approcha de Nankōbō, s’inclina et proclama son
défi. C’était un homme d’une quarantaine d’années ; mais son corps d’acier
évoquait non la formation ascétique des prêtres montagnards, mais celle du
champ de bataille ; cet homme devait avoir affronté maintes fois la mort,
et être prêt à l’accepter
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