La parfaite Lumiere
pas derrière eux
suivait Ushinosuke, à qui Hyōgō s’attachait beaucoup. Maintenant, le
garçon venait plus souvent au château, et était en passe de devenir un
véritable serviteur. Il portait leurs déjeuners sur son dos, et, attachée à son
obi, une paire de sandales de rechange pour Hyōgō.
Ils se trouvaient dans un terrain
vague au milieu de la ville. D’un côté, la pagode à cinq étages du Kōfukuji
s’élevait au-dessus des bois environnants ; visibles de l’autre côté du
champ, les maisons des prêtres bouddhistes et shinto. Bien que la journée fût
claire et l’atmosphère printanière, une légère brume planait sur les zones les
plus basses, où vivaient les citadins. La foule, de quatre à cinq cents
personnes, ne paraissait pas aussi nombreuse à cause de la grandeur du champ.
Certains des cervidés pour lesquels Nara était célèbre se glissaient parmi les
spectateurs, flairant çà et là quelque bon morceau.
— ... Ils n’ont pas encore
fini, n’est-ce pas ? demanda Hyōgō.
— Non, répondit Sukekurō.
Ils semblent faire une pause pour déjeuner.
— Alors, même les prêtres
doivent manger !
Sukekurō éclata de rire.
En fait c’était un spectacle. Les
grandes villes avaient des théâtres ; mais à Nara et dans les villes plus
petites, les spectacles se déroulaient en plein air. Prestidigitateurs,
danseurs, marionnettistes, ainsi qu’archers et hommes d’épée, tout le monde
s’exhibait dehors. Pourtant, l’attraction du jour était plus qu’un simple
divertissement. Chaque année, les prêtres-lanciers du Hōzōin
organisaient un tournoi qui déterminait l’ordre de préséance au temple. Comme
ils se produisaient en public, les concurrents menaient une lutte
acharnée ; les passes d’armes étaient souvent violentes et spectaculaires.
Devant le Kōfukuji, une pancarte indiquait clairement que le tournoi était
ouvert à tous ceux qui se consacraient aux arts martiaux ; mais les étrangers
qui osaient affronter les prêtres-lanciers étaient très, très rares.
— ... Pourquoi ne pas nous
asseoir quelque part pour déjeuner ? dit Hyōgō. Il semble que
nous ayons amplement le temps.
— Quel endroit
conviendrait ? demanda Sukekurō en promenant les yeux autour de lui.
— Là-bas ! s’écria
Ushinosuke. Vous pouvez vous asseoir là-dessus.
Il désignait un morceau de natte
de roseaux qu’il avait ramassé quelque part et déployé sur un agréable tertre. Hyōgō
admira l’esprit de ressource du garçon ; de façon générale, il était
content de la manière dont l’enfant le servait, bien qu’il ne considérât pas la
prévenance comme une qualité idéale pour un futur samouraï. Après qu’ils se
furent installés, Ushinosuke servit le frugal repas : boulettes de riz
nature, marinade de prunes et beurre de fèves sucré, le tout enveloppé de
bambou séché pour le rendre plus facile à transporter.
— Ushinosuke, dit Sukekurō,
cours jusqu’à ces prêtres, là-bas, pour avoir du thé. Mais ne leur dis pas pour
qui c’est.
— Ce serait assommant s’ils
venaient présenter leurs respects, ajouta Hyōgō, un chapeau de
vannerie enfoncé jusqu’aux yeux.
Une écharpe, comme en portaient
les prêtres, cachait plus qu’à demi les traits de Sukekurō. Tandis
qu’Ushinosuke se levait, un autre garçon, à une quinzaine de mètres de là, déclarait :
— Je n’y comprends rien. La
natte se trouvait ici même.
— N’y pense plus, Iori, dit
Gonnosuke. Ça n’est pas une grande perte.
— Quelqu’un doit nous l’avoir
chapardée. Qui crois-tu capable de faire une chose pareille ?
— Ne t’inquiète pas.
Gonnosuke s’assit sur l’herbe,
sortit son encre et son pinceau, et se mit à noter ses dépenses dans un petit
carnet, habitude qu’il tenait depuis peu d’Iori. A certains égards, Iori était
trop sérieux pour son âge. Il veillait de près à ses finances personnelles, ne
gaspillait jamais, était d’une netteté méticuleuse, éprouvait de la
reconnaissance pour le moindre bol de riz, le moindre beau jour. Bref, il était
délicat, et méprisait ceux qui ne l’étaient pas.
Pour quiconque prenait un objet
appartenant à autrui, ne fût-ce qu’un morceau de natte bon marché, il
n’éprouvait que dédain.
— Tiens, le voilà !
s’écria-t-il. Ces hommes, là-bas, l’ont pris. Dites donc, vous !
Il courut vers eux mais s’arrêta à
une dizaine de pas pour réfléchir à ce qu’il
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