La parfaite Lumiere
monde avait réellement
progressé par rapport à autrefois. Nobunaga, Hideyoshi et Ieyasu avaient gagné
le cœur du peuple, ainsi que le pouvoir ; mais, se demandait Gonnosuke,
n’avait-on pas presque oublié le véritable souverain, et poussé le peuple à
adorer de faux dieux ? L’époque des Hōjō et des Ashikaga avait
été détestable, en contradiction flagrante avec le principe même sur quoi le
pays reposait. Pourtant, même alors, de grands hommes de guerre tels que Masashige
et son fils, et des loyalistes venus de nombreuses provinces, avaient suivi le
vrai code du guerrier. Qu’était devenue la Voie du samouraï ? se demandait
Gonnosuke. Pareille à la Voie du citadin et à la Voie du paysan, elle ne
semblait plus exister que pour le compte du chef militaire.
Les pensées de Gonnosuke lui
échauffaient tout le corps. Les pics de Kawachi, les bois qui entouraient le Kongōji,
les hurlements de la tempête, semblaient devenir des êtres vivants qui
l’appelaient en rêve.
Iori ne pouvait chasser de son
esprit le prêtre inconnu. Beaucoup plus tard, quand la tempête s’intensifia, il
songeait encore à la silhouette blanche et fantomatique. Il tira les couvertures
par-dessus ses yeux et tomba dans un sommeil profond, sans rêve.
Le lendemain, lorsqu’ils se mirent
en route, les nuages au-dessus des montagnes avaient les couleurs de l’arc-en-ciel.
Juste au sortir du village, un marchand ambulant sortit de la brume du matin et
leur souhaita jovialement le bonjour.
Gonnosuke répondit pour la forme.
Iori, absorbé dans les pensées qui l’avaient tenu éveillé la veille au soir,
n’était pas plus causant. L’homme essaya de lier conversation :
— Vous avez passé la nuit
chez Tōroku, n’est-ce pas ? Je le connais depuis des années. Des gens
bien, lui et sa femme.
Ce qui ne tira qu’un grognement
aimable de Gonnosuke.
— Je passe aussi de temps en
temps au château de Koyagyū, dit le marchand. Kimura Sukekurō est
fort aimable avec moi.
Nouveau grognement.
— ... Je vois que vous êtes
allés au « mont Kōya des femmes ». Je suppose que vous allez
maintenant au mont Kōya proprement dit. C’est juste le bon moment de
l’année. Il n’y a plus de neige et l’on a réparé toutes les routes. Vous pouvez
prendre votre temps pour franchir les cols d’Amami et Kiimi, passer la nuit à
Hashimoto ou Kamuro...
Cette enquête de l’homme sur leur
itinéraire rendit Gonnosuke soupçonneux.
— Que vendez-vous ?
demanda-t-il.
— De la corde tressée,
répondit l’homme en désignant le petit ballot qu’il portait sur le dos. Cette
corde est en coton tressé à plat. L’invention en est récente, mais devient vite
populaire.
— Je vois, dit Gonnosuke.
— Tōroku m’a beaucoup
aidé en parlant de ma corde aux fidèles du Kongōji. Au fait, je me
proposais de passer la nuit dernière chez lui, mais il m’a dit qu’il avait déjà
deux hôtes. Ça m’a un peu déçu. Quand je couche chez lui, il me remplit
toujours de bon saké, ajouta-t-il en riant.
Gonnosuke se détendit un peu, et
se mit à poser des questions sur certains endroits de la route : le
marchand connaissait comme sa poche la campagne environnante. Le temps
d’arriver au plateau d’Amami, la conversation était devenue assez cordiale.
— Hé, Sugizō !
Un homme leur courait après sur la
route.
— ... Pourquoi es-tu parti en
me laissant tomber ? Je t’attendais au village d’Amano. Tu avais dit que
tu passerais m’y prendre.
— Pardon, Gensuke, dit Sugizō.
J’ai fait route avec ces deux-là, et nous avons lié conversation. Je t’ai
complètement oublié, ajouta-t-il en riant et en se grattant la tête.
Gensuke, habillé comme Sugizō,
se révéla être aussi marchand de corde. En cheminant, les deux marchands se
mirent à parler affaires.
Ils arrivèrent à un ravin profond
d’environ six mètres. Soudain, Sugizō se tut et le désigna.
— Oh ! voilà qui est
dangereux, dit-il.
Gonnosuke s’arrêta pour examiner
le ravin, peut-être un trou laissé par un très ancien tremblement de terre.
— Qu’est-ce qui ne va
pas ? demanda-t-il.
— Ces planches... elles ne
sont pas sûres à traverser. Voyez, là : certaines des pierres qui les
soutiennent ont été emportées par l’eau. Nous allons réparer ça pour que les
planches soient solides. Il faut le faire dans l’intérêt des autres voyageurs,
ajouta-t-il.
Gonnosuke les regarda, accroupis
au bord
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