La parfaite Lumiere
continuait sa route incertaine.
Il aperçut le large fleuve Yahagi, et sentit sur son visage la fraîcheur du
vent.
Soudain, mis en garde par un
sifflement perçant, il s’écarta d’un bond. Le coup passa à moins d’un mètre
cinquante de lui, et la détonation d’un mousquet résonna en écho sur le fleuve.
Ayant compté deux respirations entre la balle et le bruit, Musashi en conclut
que l’on avait tiré d’assez loin. Il sauta sous le pont et s’accrocha comme une
chauve-souris à un pilier.
Plusieurs minutes
s’écoulèrent ; trois hommes dévalèrent soudain la colline de Hachijō
comme des pommes de pin poussées par le vent. Près de l’extrémité du pont, ils
s’arrêtèrent pour se mettre à chercher le corps. Le mousquetaire, convaincu
d’avoir fait mouche, jeta sa mèche. En vêtements plus sombres que les deux
autres, il était masqué, les yeux seuls visibles.
Le ciel s’étant un peu éclairci,
les ornements de cuivre de la crosse luisaient doucement.
Musashi ne voyait pas du tout qui,
à Okazaki, voulait sa mort. Non par manque de candidats. Au cours de ses
combats, il avait vaincu bien des hommes qui risquaient de brûler encore d’un
désir de vengeance. Il en avait tué bien d’autres dont les familles ou les amis
risquaient de souhaiter poursuivre une vendetta.
Quiconque suivait la Voie du sabre
était sans cesse en danger de mort.
Tandis que Musashi se cachait sous
le pont, la froide réalité de la situation le stimula, et sa lassitude
s’évanouit. Respirant à peine et sans bruit, il laissa ses assaillants
s’approcher. Comme ils ne trouvaient pas le cadavre, ils fouillèrent la route
déserte et l’espace situé sous l’extrémité du pont.
Les yeux de Musashi
s’écarquillèrent. Quoique habillés de noir ainsi que des bandits, ces hommes
portaient des sabres de samouraïs et étaient bien chaussés. Les seuls samouraïs
du district étaient ceux qui servaient la Maison de Honda à Okazaki et la
Maison Owari de Tokugawa à Nagoya.
Un homme plongea dans l’ombre et
ramassa la mèche, puis l’alluma et l’agita, ce qui donna à penser à Musashi
qu’il y avait aussi des hommes de l’autre côté du pont. Il ne pouvait bouger,
du moins pas maintenant. S’il se montrait, il provoquerait d’autres coups de
mousquet. Même s’il gagnait la berge opposée, un danger peut-être plus grand
l’attendait. Pourtant, il ne pouvait non plus rester beaucoup plus longtemps où
il se trouvait. Sachant qu’il n’avait pas traversé le pont, ils se rapprocheraient
de lui et découvriraient peut-être sa cachette.
Son plan lui vint comme un trait
de lumière. Il n’était pas raisonné suivant les théories de l’Art de la guerre.
— Inutile d’essayer de vous
cacher ! cria-t-il. Si vous me cherchez, je suis ici même.
Maintenant, le vent était assez
fort ; Musashi n’était pas certain que sa voix portât. Un second coup de
feu répondit à sa question. Musashi, bien sûr, était loin. La balle était
encore en l’air que, d’un bond, il se rapprochait de près de trois mètres de
l’extrémité du pont.
Il se précipita au milieu d’eux.
Ils s’écartèrent légèrement, lui faisant face de trois côtés mais sans la
moindre coordination. Il frappa de haut en bas avec son long sabre l’homme qui
se trouvait au centre, tout en attaquant de son sabre court l’homme qui se
trouvait à sa gauche. Le troisième s’enfuit à travers le pont ; il courut,
trébucha et rebondit par-dessus le parapet.
Musashi le suivit au pas en
restant d’un côté et en s’arrêtant de temps en temps pour écouter. Comme rien
d’autre ne se produisait, il rentra chez lui se coucher.
Le lendemain matin, deux samouraïs
se présentèrent à son domicile. Trouvant l’entrée pleine de sandales d’enfants,
ils la contournèrent.
— Etes-vous Muka Sensei ?
demanda l’un d’eux. Nous sommes de la Maison de Honda.
Musashi leva les yeux de sa
calligraphie et répondit :
— Oui, je suis Muka.
— Votre vrai nom est-il
Miyamoto Musashi ? Si oui, n’essayez pas de le cacher.
— Je suis Musashi.
— Je suppose que vous
connaissez Watari Shima.
— Je ne crois pas le
connaître.
— Il assure avoir assisté à
deux ou trois séances de haïku, où vous étiez présent.
— Maintenant que vous me le
dites, je me le rappelle en effet. Nous nous sommes rencontrés chez un ami
commun.
— Il se demandait si vous ne
viendriez pas passer une soirée
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