La parfaite Lumiere
le bruit de la rivière et la voix du vent. Soudain, elle se
rendit compte qu’au lieu d’appeler au secours, elle devait compter sur ses
propres forces. Avec un petit cri de désespoir, elle se laissa glisser au sol
et se mit à frotter la corde contre le tranchant d’une pierre. Ce n’était
qu’une corde de paille lâche, ramassée au bord de la route, et la jeune fille
fut prompte à se libérer. Elle ramassa des pierres, et courut droit au lieu de
l’action :
— ... Jōtarō,
s’écria-t-elle en lançant une pierre à la face de l’un des hommes, je suis là,
moi aussi ! Tout va s’arranger !
Autre pierre.
— ... Tiens bon !
Encore une pierre ; mais,
pareille aux deux premières, elle manqua son but. Otsū retourna
précipitamment en chercher d’autres.
— La garce !
En deux bonds, l’un des hommes se
dégagea d’avec Jōtarō et se lança à la poursuite d’Otsū. Il
était sur le point de lui assener un coup dans le dos quand Jōtarō
l’atteignit. Jōtarō lui enfonça son sabre si profond que la lame
ressortit par le nombril. L’autre homme, blessé, étourdi, commença par
s’éloigner avec prudence, puis se mit tant bien que mal à courir.
Jōtarō, les pieds plantés solidement de chaque côté du cadavre,
retira le sabre et cria :
— Halte !
Comme il allait se lancer à sa
poursuite, Otsū se jeta sur lui en criant :
— Non ! Il ne faut pas
s’attaquer à un grand blessé en train de s’enfuir.
La ferveur de son plaidoyer
stupéfia le jeune homme. Il ne comprenait pas quelle bizarrerie psychologique
pouvait bien la pousser à compatir envers un homme qui venait de la tourmenter.
Elle lui dit :
— ... Je veux savoir ce que
tu as fait durant toutes ces années. J’ai moi aussi des choses à te dire. Et
nous devrions partir d’ici le plus vite possible.
Jōtarō fut prompt à
acquiescer, sachant bien que si la nouvelle de l’incident atteignait Shimonoshō,
les Hon’iden lanceraient le village entier à leurs trousses.
— Vous pouvez courir, Otsū ?
— Oui. Ne te fais pas de
souci pour moi.
Et ils coururent, coururent,
coururent à travers l’obscurité jusqu’à ce qu’ils fussent à bout de souffle.
A Mikazuki, les seules lumières
visibles étaient celles de l’auberge. L’une brillait dans le bâtiment principal
où, un peu plus tôt, un groupe de voyageurs – un marchand de métal
que ses affaires amenaient aux mines de l’endroit, un vendeur de fil venu de
Tajima, un prêtre itinérant – se trouvaient assis à parler et à rire.
Ils étaient tous allés se coucher.
Jōtarō et Otsū,
assis, causaient à l’autre lumière, dans une petite pièce retirée que la mère
de l’aubergiste occupait avec son rouet et les pots où elle faisait bouillir
des vers à soie. L’aubergiste avait beau soupçonner le couple d’être
illégitime, il lui avait fait préparer la chambre. Otsū disait :
— Alors, tu n’as pas vu non
plus Musashi à Edo.
Et elle lui donna un compte rendu
des récentes années. Attristé d’apprendre qu’elle n’avait pas vu Musashi depuis
leur rencontre sur la grand-route de Kiso, Jōtarō avait du mal à parler.
Pourtant, il crut pouvoir offrir une lueur d’espérance :
— Ce n’est pas grand-chose,
déclara-t-il, mais j’ai ouï dire à Himeji que Musashi allait bientôt y venir.
— A Himeji ? Serait-ce
possible ? demanda-t-elle, anxieuse de s’accrocher à l’espoir même le plus
ténu.
— Ce n’est qu’un bruit, mais
les hommes de notre fief en parlent comme d’une affaire déjà décidée. Ils
assurent que Musashi traversera la ville pour se rendre à Kokura, où il a
promis de relever le défi de Sasaki Kojirō. Sasaki Kojirō fait partie
de la suite du seigneur Hosokawa.
— J’ai entendu dire quelque
chose de ce genre, moi aussi, mais je n’ai pu trouver personne qui eût des
nouvelles de Musashi, ou même qui sût où il était.
— Eh bien, la rumeur qui
court au château de Himeji doit être digne de foi. Il semble que le Hanazono Myōshinji
de Kyoto, lequel est en rapport étroit avec la Maison de Hosokawa, ait informé
le seigneur Hosokawa de l’endroit où se trouvait Musashi, et que Nagaoka Sado – un
vassal principal – ait remis à Musashi la lettre de défi.
— Croit-on que cela aura lieu
bientôt ?
— Je ne sais pas. Personne ne
paraît le savoir au juste. Mais si ça a lieu à Kokura, et si Musashi se trouve
à Kyoto, il traversera
Weitere Kostenlose Bücher