La parfaite Lumiere
votre voyage. Vous pouvez rester ici, dans cette chambre, et vous coucher
quand vous le désirerez. Maintenant, je vous prie de m’excuser.
Il la quitta pour aller s’asseoir
dans une autre pièce où des invités vinrent bientôt lui offrir toute une
variété de cadeaux : un charme sacré provenant du sanctuaire de Hachiman,
sur le mont Otoko, une cotte de mailles, une énorme brème, un tonneau de saké.
Bientôt, il n’y eut plus un endroit où s’asseoir.
Ces amis priaient sincèrement pour
sa victoire ; il était non moins vrai que huit sur dix d’entre eux, ne
doutant pas qu’il gagnerait, s’insinuaient dans ses bonnes grâces avec l’espoir
de favoriser leurs propres ambitions par la suite.
« Et si j’étais un rōnin ? »
songeait Kojirō. Bien que cette flagornerie le déprimât, il trouvait
satisfaction dans le fait que c’était lui et nul autre qui avait amené ses
partisans à croire en lui.
« Je dois gagner. Je le dois,
je le dois. » L’idée de la victoire était pour lui un fardeau
psychologique. Il s’en rendait compte, mais n’y pouvait rien. « Gagner,
gagner, gagner. » Comme une vague poussée par le vent, ce mot ne cessait
de se répéter quelque part dans son esprit. Même Kojirō ne pouvait comprendre
pourquoi le primitif besoin de vaincre lui battait le cerveau avec une telle
persistance.
La nuit s’avançait, mais bon
nombre de visiteurs restaient à boire et à causer. Il était fort tard quand
parvint la nouvelle :
— Musashi est arrivé
aujourd’hui. On l’a vu débarquer à Moji, et plus tard, marcher dans la rue à
Kokura.
A l’aube
Musashi arriva à Shimonoseki avec
plusieurs jours d’avance. Comme il n’y connaissait personne et que nul ne l’y
connaissait, il passa tranquillement son temps, sans être gêné par les
flatteurs et les fâcheux.
Le matin du onze, il traversa le
détroit de Kammon jusqu’à Moji pour aller voir Nagaoka Sado, et confirmer qu’il
acceptait l’heure et le lieu du combat. Un samouraï le reçut dans
l’antichambre, le dévisageant sans vergogne et songeant : « Voilà
donc le célèbre Miyamoto Musashi ! » Mais, tout haut, le jeune homme
se contenta de déclarer :
— Mon maître est encore au
château ; pourtant, il devrait rentrer bientôt. Je vous en prie, entrez
l’attendre.
— Non, merci ; je n’ai
rien d’autre à lui dire. Si vous aviez seulement l’amabilité de lui transmettre
mon message...
— Mais vous avez fait tout ce
chemin ! Il sera bien déçu de vous avoir manqué. S’il faut vraiment que
vous partiez, je vous en prie, laissez-moi du moins dire aux autres que vous
êtes là.
A peine avait-il disparu dans la
maison qu’Iori accourait dans les bras de Musashi.
— Sensei !
Musashi lui tapota la tête.
— As-tu bien étudié ?
— Oui, monsieur.
— Que tu as grandi !
— Vous saviez que j’étais
ici ?
— Oui ; Sado me l’a
écrit. J’ai eu aussi de tes nouvelles chez Kobayashi Tarōzaemon, à Sakai.
Je suis content que tu sois ici. Habiter une maison comme celle-ci te fera du
bien.
L’air déçu, Iori se taisait.
— ... Qu’as-tu ? demanda
Musashi. N’oublie pas que Sado a été très bon pour toi.
— Oui, monsieur.
— Tu dois faire plus que
pratiquer les arts martiaux, tu sais. Il faut apprendre par des livres. Et bien
que tu doives être le premier à aider quand c’est nécessaire, essaie d’être
plus modeste que les autres garçons.
— Oui, monsieur.
— Et ne tombe pas dans le
piège qui consiste à t’apitoyer sur toi-même. C’est le cas de nombreux garçons
comme toi qui ont perdu un père ou une mère.
— Oui, monsieur.
— Tu es intelligent, Iori,
mais attention. Ne laisse pas la rudesse de ton éducation prendre le dessus.
Tiens-toi serré. Tu es encore un enfant ; tu as devant toi une longue
existence. Protège-la bien. Epargne-la jusqu’à ce que tu puisses la donner pour
une cause vraiment noble : pour ton pays, ton honneur, la Voie du
samouraï. Cramponne-toi à ta vie ; rends-la honnête et courageuse.
Iori avait le sentiment désolant
qu’il s’agissait d’une séparation, d’un adieu définitif. Son intuition le lui
eût probablement dit même si Musashi n’avait pas traité de sujets aussi
graves ; mais le mot « vie » ne laissait guère de doute. A peine
Musashi l’eut-il prononcé qu’Iori enfouit la tête dans sa poitrine. L’enfant
sanglotait sans pouvoir se
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