La parfaite Lumiere
maîtriser. Musashi, s’apercevant qu’Iori était fort
bien tenu – ses cheveux bien peignés et attachés, ses chaussettes
d’une blancheur immaculée –, regrettait maintenant son sermon.
— ... Ne pleure pas, dit-il.
— Mais si vous...
— Cesse tes jérémiades. On va
te voir.
— Vous... vous allez
après-demain à Funashima ?
— Oui, il le faut.
— Gagnez, je vous en prie,
gagnez. Je ne peux supporter la pensée de ne plus vous revoir.
— Ha ! ha ! C’est à
cause de ça que tu pleures ?
— Il y a des gens qui disent
que vous ne pouvez pas battre Kojirō... d’abord, vous n’auriez pas dû
accepter le combat.
— Tu ne me surprends pas. Les
gens disent toujours ça.
— Mais vous pouvez gagner,
n’est-ce pas, Sensei ?
— Je ne perdrai même pas mon
temps à me poser la question.
— Vous voulez dire que vous
êtes sûr que vous gagnerez ?
— Même si je perds, je
promets de le faire bravement.
— Mais si vous pensez que
vous risquez de perdre, ne pourriez-vous partir quelque part un moment ?
— Il y a toujours un germe de
vérité dans le pire des commérages, Iori. J’ai peut-être commis une
erreur ; mais au point où nous en sommes, fuir serait renoncer à la Voie
du samouraï. Cela attirerait le déshonneur non seulement sur moi mais sur
beaucoup d’autres.
— Pourtant, ne disiez-vous
pas que je devais me cramponner à ma vie et la préserver avec soin ?
— Si, je l’ai dit, et si l’on
m’enterre à Funashima, que cela te serve de leçon : évite de te mêler de
combats qui risquent de te faire gaspiller ta vie.
Sentant qu’il allait trop loin, il
changea de sujet :
— ... J’ai déjà demandé que
l’on transmette à Nagaoka Sado mes respects. Je veux que tu les lui exprimes
aussi, et lui dises que je le verrai à Funashima.
Musashi se dégagea doucement.
Tandis qu’il se dirigeait vers le portail, Iori s’accrochait au chapeau de
vannerie qu’il tenait à la main :
— Non... attendez...
pouvait-il seulement dire.
De son autre main, il se cacha le
visage. Les sanglots lui secouaient les épaules. Nuinosuke entra par une porte
qui s’ouvrait à côté du portail, et se présenta à Musashi.
— Iori semble répugner à vous
laisser partir, et je le comprends. Je ne doute pas que vous ayez d’autres
choses à faire, mais ne pourriez-vous passer ici une seule nuit ?
Musashi, lui rendant son salut,
répondit :
— C’est aimable à vous de
m’en prier, mais je ne crois pas devoir le faire. Après-demain, je dormirai
peut-être pour de bon. Je ne pense pas qu’il serait bien de ma part de peser
sur autrui maintenant. Par la suite, cela risquerait de se révéler une gêne.
— Voilà qui est fort délicat
de votre part, mais je crains que le maître ne soit furieux contre nous de vous
avoir laissé partir.
— Je lui enverrai un mot pour
tout lui expliquer. Aujourd’hui, je suis seulement venu le saluer. Maintenant,
je crois qu’il faut partir.
Après avoir franchi le portail, il
se tourna vers la plage ; mais il n’avait pas fait la moitié du chemin
qu’il entendit des voix l’appeler dans son dos. Se retournant, il vit une
poignée de samouraïs d’un certain âge, de la Maison de Hosokawa ; deux
d’entre eux avaient des cheveux gris. Comme il n’en reconnaissait aucun, il
crut que leurs cris s’adressaient à quelqu’un d’autre, et il continua sa route.
Arrivé au rivage, il se tint là à
contempler la mer. Un certain nombre de bateaux de pêche étaient ancrés au
large, leurs voiles roulées toutes grises dans la lumière brumeuse du début de
soirée. Au-delà de la masse plus vaste de Hikojima, les contours de Funashima
se devinaient à peine.
— Musashi !
— Vous êtes bien Miyamoto
Musashi, n’est-ce pas ?
Musashi se tourna vers eux, se
demandant ce que ces guerriers âgés pouvaient lui vouloir.
— Vous ne vous souvenez pas
de nous, n’est-ce pas ? Rien d’étonnant à cela. Ça fait trop longtemps. Je
m’appelle Utsumi Magobeinojō. Tous les six, nous sommes de Mimasaka. Nous
étions au service de la Maison de Shimmen, au château de Takeyama.
— Moi, je suis Koyama Handayū.
Magobeinojō et moi, nous étions des amis intimes de votre père.
Musashi eut un large sourire.
— Eh bien, en voilà une
surprise !
Leur accent traînant, sans
conteste celui de son village natal, ressuscitait maints souvenirs d’enfance.
Après avoir salué chacun d’eux,
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