La parfaite Lumiere
il reprit :
— ... Je suis content de vous
voir. Mais dites-moi, comment se fait-il que vous soyez tous ici ensemble, si loin
du pays ?
— Eh bien, comme vous le
savez, la Maison de Shimmen a été démantelée après la bataille de Sekigahara.
Devenus des rōnins, nous avons fui à Kyushu et sommes venus ici, dans la
province de Buzen. Un temps, pour vivre, nous avons tressé des semelles de
chevaux en paille. Par la suite, nous avons eu un coup de chance.
— Vraiment ? Eh bien, je
dois le dire, jamais je n’aurais pensé rencontrer des amis de mon père à
Kokura.
— C’est aussi pour nous un
plaisir inattendu. Vous êtes un samouraï de belle mine, Musashi. Dommage que
votre père ne soit pas ici pour vous voir maintenant.
Durant quelques minutes, ils
commentèrent entre eux la belle prestance de Musashi. Puis Magobeinojō
s’exclama :
— Quel âne je suis !
J’oubliais pourquoi nous vous cherchions. Nous venions de vous manquer chez
Sado. Nous avions l’intention de passer une soirée avec vous. Tout a été
arrangé avec Sado.
Handayū fit chorus :
— Exact. C’était bien
grossier de votre part d’aller jusqu’à la porte d’entrée et de repartir sans
avoir vu Sado ; vous êtes le fils de Shimmen Munisai. Vous ne devriez pas
faire des choses pareilles. Allons, revenez avec nous.
Il semblait estimer que le fait
d’avoir été un ami du père de Musashi l’autorisait à donner des ordres à son
fils. Sans attendre de réponse, il commença à s’éloigner, escomptant que
Musashi le suivrait. Le jeune homme, qui se disposait à les accompagner,
s’arrêta.
— Je regrette, dit-il. Je ne
crois pas devoir y aller. Excusez-moi d’être aussi grossier, mais je pense
qu’il serait mal de ma part de me joindre à vous.
Tout le monde fit halte, et Magobeinojō
s’écria :
— Mal ? Qu’y a-t-il de
mal à cela ? Nous voulons vous recevoir comme il convient : même
village et tout, vous savez bien.
— Sado s’en réjouit d’avance,
lui aussi. Vous ne voudriez pas l’offenser, n’est-ce pas ?
Magobeinojō, d’un ton
froissé, ajouta :
— Qu’y a-t-il ? Vous
nous en voulez de quelque chose ?
— J’aimerais y aller, dit
Musashi poliment, mais il y a d’autres questions à envisager. Ce n’est sans
doute qu’une rumeur, mais j’ai entendu dire que mon combat avec Kojirō est
une source de friction entre les deux plus vieux vassaux de la Maison de
Hosokawa, Nagaoka Sado et Iwama Kakubei. On prétend que le camp d’Iwama a
l’approbation du seigneur Tadatoshi, et que Nagaoka tente de renforcer sa
propre faction en s’opposant à Kojirō.
Un murmure de surprise accueillit
ces propos.
— ... Je suis certain qu’il
ne s’agit là que de spéculations oiseuses, continua Musashi ; il n’en
reste pas moins que les bavardages publics sont chose dangereuse. Le sort d’un rōnin
tel que moi n’a guère d’importance, mais je ne voudrais rien faire pour attiser
les rumeurs et provoquer les soupçons au sujet de Sado ou de Kakubei. Tous deux
sont précieux pour le fief.
— Je vois, dit Magobeinojō.
Musashi sourit.
— Mon Dieu, c’est du moins
mon excuse. A vrai dire en ma qualité de garçon de la campagne, j’ai du mal à
rester assis à dire des politesses toute une soirée. J’ai seulement envie de me
reposer.
Impressionnés par la considération
de Musashi envers autrui mais n’en répugnant pas moins à se séparer de lui, ils
se rassemblèrent pour discuter de la situation.
— Nous sommes au onzième jour
du quatrième mois, dit Handayū. Depuis dix ans, nous six nous réunissons à
cette date. Nous avons pour règle impérative de ne pas inviter
d’étrangers ; mais vous êtes du même village, vous êtes le fils de
Munisai, aussi voudrions-nous vous prier de vous joindre à nous. Ce n’est
peut-être pas le genre de divertissement que nous devrions vous procurer, mais
vous n’aurez pas à vous soucier d’être bien élevé, d’être vu ou discuté.
— Dans ces conditions, dit
Musashi, je ne vois pas comment je pourrais refuser.
Cette réponse fit un immense
plaisir au vieux samouraï. A la suite d’un autre bref conciliabule, on convint
que Musashi rencontrerait l’un d’eux, un homme appelé Kinami Kagashirō, devant
un salon de thé deux heures plus tard, et l’on se sépara.
Musashi rencontra Kagashirō à
l’heure dite, et ils marchèrent jusqu’à deux kilomètres environ du centre de la
ville ;
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