La parfaite Lumiere
en parler de retour chez eux.
— Bien sûr, mais comment
verra-t-on un combat qui a lieu sur une île située à trois kilomètres de la
côte ?
— Eh bien, en montant au
sommet du mont Kazashi, on peut distinguer les pins sur Funashima. Les gens
viendront de toute manière lorgner les bateaux et les foules de Buzen et de
Nagato.
— J’espère que le temps
restera beau.
A cause des restrictions apportées
aux activités maritimes, les loueurs de bateaux faisaient de mauvaises
affaires. Pourtant, voyageurs et gens de la ville s’en accommodaient, et
recherchaient activement les positions avantageuses d’où ils pourraient avoir
un aperçu des événements passionnants de Funashima.
Le onze, vers midi, une femme qui
donnait le sein à son bébé marchait de long en large devant une gargote à plat
unique, à l’endroit où la route de Moji entrait à Kokura. Le bébé, fatigué du
voyage, n’arrêtait pas de pleurer.
— Sommeil ? Allons, fais
donc un petit somme. Là, là... Dors, dors.
Akemi n’était pas maquillée. Avec
un bébé à élever, sa vie avait changé considérablement ; mais elle ne
regrettait rien.
Matahachi sortit de la boutique,
vêtu d’un kimono sans manches d’une teinte discrète. L’unique allusion à
l’époque où il avait aspiré à devenir prêtre était le foulard qu’il portait sur
la tête afin de cacher son crâne autrefois rasé.
— Allons, allons !
s’écria-t-il. Encore en train de pleurer ? Tu dois dormir. Va, Akemi. Je
le prendrai pendant que tu mangeras. Mange beaucoup pour avoir beaucoup de lait.
Prenant l’enfant dans ses bras, il
se mit à lui chantonner une douce berceuse.
— Eh bien, en voilà une
surprise ! fit une voix derrière eux.
— Quoi ? fit Matahachi
en regardant l’homme, incapable de le situer.
— Je suis Ichinomiya
Gempachi. Nous nous sommes rencontrés, voilà plusieurs années, à la forêt de
pins proche de l’avenue Gojō, à Kyoto. Je suppose que vous ne vous
souvenez pas de moi.
Matahachi continuant à le regarder
sans comprendre, Gempachi reprit :
— ... Vous vous faisiez
partout passer pour Sasaki Kojirō.
— Oh ! s’écria
Matahachi, le souffle coupé. Le moine au gourdin...
— Voilà. Ça me fait plaisir
de vous revoir.
Matahachi se hâta de s’incliner,
ce qui réveilla le bébé.
— Allons, ne recommence pas à
pleurer, supplia-t-il.
— Je me demande, fit
Gempachi, si vous pourriez me dire où se trouve la maison de Kojirō. Si je
comprends bien, il habite ici, à Kokura.
— Je regrette, je n’en ai pas
la moindre idée. J’arrive moi-même.
Deux serviteurs de samouraïs
sortaient de la boutique ; l’un dit à Gempachi :
— Si vous cherchez la maison
de Kojirō, elle est juste au bord de la rivière Itatsu. Nous vous
montrerons le chemin, si vous voulez.
— Bien aimable à vous. Au
revoir, Matahachi. A un de ces jours.
Les samouraïs s’éloignèrent, et
Gempachi leur emboîta le pas. Matahachi, remarquant la boue et la saleté
accrochées aux vêtements de l’homme, se dit : « Je me demande s’il a
fait tout le chemin depuis Kōzuke. » Que la nouvelle du combat se fût
répandue jusqu’à des endroits aussi éloignés l’impressionnait profondément.
Alors, le souvenir de la rencontre avec Gempachi lui traversa l’esprit, et il
frémit. Qu’il était donc sans intérêt, superficiel et sans vergogne à cette
époque ! Penser qu’il avait eu le front d’essayer de faire passer pour sien
le certificat de l’école Chujō, de jouer le rôle de... Pourtant, qu’il pût
comprendre maintenant combien il avait été grossier constituait un signe
encourageant. Du moins avait-il changé depuis lors. « Je suppose,
pensa-t-il, que même un idiot tel que moi peut s’améliorer s’il reste vigilant
et s’il essaie. »
Entendant le bébé pleurer de
nouveau, Akemi abrégea son repas et ressortit en toute hâte :
— Excuse-moi, dit-elle. Je le
prends, maintenant.
Ayant installé le bébé sur le dos
d’Akemi, Matahachi suspendit à son épaule une boîte de colporteur de bonbons,
et se disposa à partir. Un certain nombre de passants considéraient avec envie
ce couple pauvre, mais qui semblait heureux.
Une dame d’un certain âge,
d’aspect distingué, s’approcha et dit :
— Quel joli bébé ! Quel
âge a-t-il ? Oh ! vois donc comme il rit.
Comme sur commande, le serviteur
qui l’accompagnait se baissa pour examiner le visage de
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