La parfaite Lumiere
exaltante des pas qui s’approchaient. Mais son plaisir fut prompt à
s’évanouir.
— Il faut que je rentre,
dit-il d’un ton résolu.
Tandis que son pas s’accélérait,
son esprit, qui revenait de son excursion dans l’inconnu, le poussa à
chanter :
Vieux
Bouddha de métal, debout dans le champ,
As-tu
vu une fille de seize ans ?
Ne
connais-tu pas une fille égarée ?
Interrogé,
tu dis : « Bing ! »
Frappé,
tu dis : « Bong ! »
Un grillon dans l’herbe
Jōtarō allait d’un bon
pas sans guère prêter attention à la route. Soudain, il fit halte et regarda
autour de lui, se demandant s’il s’était perdu. « Je ne me souviens pas
d’être passé par ici », se disait-il, inquiet.
Des maisons de samouraïs bordaient
les vestiges d’une vieille forteresse. Une partie de l’enceinte avait été
reconstruite pour servir de résidence officielle à Okubo Nagayasu, récemment
nommé ; mais le reste, qui s’élevait comme une éminence naturelle, était
couvert de mauvaises herbes et d’arbres. Les remparts de pierre tombaient en
ruine, ayant été ravagés nombre d’années auparavant par une armée
d’envahisseurs. Les fortifications paraissaient primitives, en comparaison de
l’ensemble du château qui datait de quarante à cinquante ans. Il n’y avait ni
fossé ni pont, rien que l’on pût décrire à proprement parler comme un mur
d’enceinte. Le château avait dû appartenir à l’un des gentilshommes de
l’endroit, avant que les grands daimyōs de la guerre civile ne réunissent
leurs domaines ruraux en plus vastes principautés féodales.
D’un côté de la route, il y avait
des rizières et des marais ; de l’autre, des murailles ; au-delà, une
falaise au sommet de laquelle devait se dresser autrefois la forteresse.
En tâchant de se repérer,
Jōtarō suivit des yeux la falaise. Alors, il vit quelque chose
bouger, s’arrêter, bouger de nouveau. A première vue, on eût dit un
animal ; mais bientôt, la silhouette qui se mouvait à pas de loup devint
celle d’un homme. Jōtarō frissonna mais resta cloué sur place.
L’homme fit descendre une corde
avec un crochet attaché au sommet. Après s’être laissé glisser de toute la
longueur de la corde et avoir trouvé un point d’appui pour ses pieds, il
dégagea le crochet en le secouant et répéta l’opération. Arrivé en bas, il
disparut dans un taillis.
La curiosité de Jōtarō
était à son comble.
Au bout de quelques minutes, il
vit l’homme s’avancer le long des petits talus séparant les rizières ; il
semblait marcher droit vers lui. Jōtarō faillit être pris de panique,
mais fut soulagé en apercevant le fagot sur le dos de l’homme. « J’ai
perdu mon temps ! Ce n’est qu’un paysan qui vole du petit bois. » Il
se disait que l’homme était fou de prendre le risque de franchir la falaise à
seule fin de ramasser du bois. De plus, il était déçu : le mystère était
devenu intolérablement banal. Mais alors vint le second choc. Tandis que
l’homme montait la route, en face de l’arbre derrière lequel se cachait
Jōtarō, le garçon étouffa un cri. Il était sûr que la silhouette
sombre était celle de Daizō.
« Impossible », se dit-il.
L’homme avait le visage enveloppé
d’un tissu noir ; il portait une culotte de paysan, des guêtres et de
légères sandales de paille.
La mystérieuse silhouette prit un
chemin qui contournait une colline. Personne, doté d’épaules aussi robustes et
d’une aussi élastique démarche, ne pourrait avoir plus de cinquante ans, comme
c’était le cas pour Daizō. S’étant persuadé qu’il se trompait,
Jōtarō emboîta le pas à l’homme. Il devait rentrer à l’auberge, et
l’inconnu pouvait, à son insu, l’aider à retrouver sa route.
Arrivé à une borne indicatrice,
l’homme déposa son fagot qui paraissait fort pesant. Tandis qu’il se penchait
pour lire ce qu’il y avait d’inscrit sur la pierre, Jōtarō fut de
nouveau frappé par quelque chose en lui de familier.
Cependant que l’homme grimpait le
sentier de la colline, Jōtarō examina la borne où se trouvaient
gravés les mots : « Pin sur la Butte aux Têtes enfouies : en
haut. » C’était là que les habitants de l’endroit inhumaient les têtes
tranchées des criminels et des guerriers vaincus.
Les branches d’un pin immense se
détachaient sur le ciel nocturne. Le temps pour Jōtarō d’atteindre le
haut de
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