La parfaite Lumiere
quel droit mange-t-il
ta nourriture ?
— Ça ne vous regarde pas.
— Peuh... Bêcher à droite et
à gauche dans cette plaine stérile où il n’y aura jamais ni champ ni jardin ni
rien d’autre !... Tout le village se moque de vous.
— Qui vous a demandé votre
avis ?
— Ce qui ne tourne pas rond
dans la tête de ce rōnin doit être contagieux Qu’espères-tu donc trouver
là-haut... une marmite pleine d’or, comme dans un conte de fées ? On te
tordrait le nez qu’il en sortirait encore du lait, et déjà tu creuses ta propre
tombe.
— Taisez-vous et donnez-moi
le millet. Le millet ! Tout de suite.
Deux minutes plus tard, le prêtre
taquinait encore Iori quand quelque chose de froid et de visqueux lui frappa le
visage. Les yeux lui sortirent de la tête ; alors, il vit ce que
c’était : un crapaud bien verruqueux. Il poussa les hauts cris et se jeta
sur Iori mais juste au moment où il le saisissait au collet, un autre prêtre
survint pour annoncer que l’on demandait le garçon dans la chambre des
samouraïs. Le grand prêtre, ayant lui aussi entendu le vacarme, se précipita à
la cuisine.
— A-t-il fait quelque chose
qui risque de déplaire à notre hôte ? demanda-t-il, inquiet.
— Non. Sado vient de dire
qu’il aimerait lui parler. Il voudrait également lui donner des bonbons.
Le grand prêtre se hâta de prendre
Iori par la main, et de le conduire en personne à la chambre de Sado. Comme
Iori s’asseyait timidement à côté du prêtre, Sado lui demanda :
— Quel âge as-tu ?
— Treize ans.
— Et tu veux devenir
samouraï ?
— C’est ça, répondit Iori en
acquiesçant vigoureusement du chef.
— Tiens, tiens. Pourquoi ne
viens-tu pas vivre avec moi, alors ? Au début, tu devrais aider au travail
de maison, mais plus tard je ferais de toi l’un des apprentis samouraïs.
Iori secoua la tête en silence.
Sado, qui prenait cela pour de la timidité, lui assura que l’offre était
sérieuse. Iori lui lança un coup d’œil irrité, et dit :
— Il paraît que vous vouliez
me donner des bonbons. Où sont-ils ?
Le grand prêtre pâlit et lui donna
une tape sur le poignet.
— Ne le grondez pas, dit Sado
sur un ton de reproche.
Il aimait les enfants, et se
montrait indulgent à leur égard.
— ... Il a raison. Un homme
doit tenir parole. Faites apporter les bonbons.
Lorsqu’ils arrivèrent, Iori se mit
à les fourrer dans son kimono. Sado, un peu déconcerté, lui demanda :
— Tu ne vas donc pas les
manger ici ?
— Non. Mon maître m’attend à
la maison.
— Ah ? Tu as un
maître ?
Sans se donner la peine de
s’expliquer, Iori s’élança hors de la pièce et disparut à travers le jardin.
Sado trouva ce comportement
amusant. Le grand prêtre, moins, qui s’inclina deux ou trois fois jusqu’à terre
avant de se rendre à la cuisine à la poursuite d’Iori.
— Où donc est ce moutard
insolent ?
— Il a pris son sac de millet,
et il est parti.
Quelques instants, ils tendirent
l’oreille, mais n’entendirent qu’un cri aigu et discordant. Iori avait cueilli
une feuille à un arbre, et tâchait d’improviser un air. Aucune des rares
chansons qu’il connaissait ne semblait rien donner. Le chant des palefreniers
était trop lent, trop compliquées les chansons de la fête Bon . Il finit
par se fixer sur une mélodie qui ressemblait à la musique de danse sacrée du
sanctuaire local. Ça lui convenait assez car il aimait ces danses, que son père
l’avait parfois emmené voir.
Environ à mi-chemin de Hōtengahara,
à un endroit où deux ruisseaux confluaient pour former une rivière, il sursauta
soudain. La feuille s’envola de sa bouche en même temps qu’une écume de salive,
et il bondit dans les bambous qui bordaient la route.
Debout sur un pont de fortune il y
avait là trois ou quatre hommes engagés dans un conciliabule. « Ce sont
eux ! » s’exclama tout bas Iori.
Le souvenir d’une menace résonnait
à ses oreilles effrayées. Quand les mères de la région grondaient leurs
enfants, il leur arrivait de dire : « Si tu n’es pas sage, les démons
de la montagne descendront te chercher. » De fait, ils étaient venus pour
la dernière fois à l’automne de l’avant-dernière année.
A une trentaine de kilomètres de
là, dans les montagnes d’Hitachi, il y avait un sanctuaire consacré à une
divinité montagnarde. Quelques siècles plus tôt, la population craignait tellement
ce dieu
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