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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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Coups. Fuites.
    Hitler
parvient à se traîner jusqu'à sa voiture où
le docteur Schultz le soigne.
     Vous
n'avez qu'une luxation de l'épaule et du genou.
    Il
fait démarrer la voiture. Il fuit. Il laisse le combat
derrière lui. Il se réfugie dans une grande villa à
Uffing. Il s'enferme dans une chambre.
    Non,
il n'est pas un lâche. Non, il ne s'est pas enfui. Il est venu
se suicider. La preuve ? Il a son revolver dans la main.
    Il
s'approche d'un grand miroir piqué et se contemple, sanglé
dans son imperméable, surmonté de son chapeau de
velours, affublé de cette moustache qu'il ne sait jamais
comment tailler. L'histoire va s'achever là.
    Rienzi... Il
songe à l'opéra qui l'avait soulevé à
Vienne, au suicide de Rienzi dans le Capitole en flammes. Sa vie
violente et juste finit comme celle du héros. Il va mourir
debout. Il se donnera lui-même la mort.
    Il
se considère de bas en haut. La scène ne ressemble pas
à ce qu'il s'imaginait. Il peine à entendre les
violons. Il n'est pas certain que le public éclatera en
applaudissements. Pour dire le vrai, Wagner lui manque et il n'est
pas sûr d'être à sa place.
    Il
a un spasme de lucidité : il ne meurt pas par héroïsme,
mais pour échapper au ridicule ; il n’est qu'un pantin
minable qui a joué à la prise de pouvoir sans avoir
suffisamment préparé son coup. On va rire de lui et on
aura raison.
    Les
larmes lui brouillent la vue.
    Le
revolver lui tombe des mains. Par réflexe, il saute sur le
côté ; mais le coup ne part pas, le revolver s'est
écrasé mollement sur le tapis à franges. Hitler
a eu le temps d'apercevoir son entrechat effrayé dans le
miroir et cela achève de le déconsidérer à
ses yeux. Il se croyait dans Wagner, il joue une parodie d'Offenbach.
    Il
ramasse le revolver et le porte à sa tempe. Il doit mettre fin
à cette souffrance intolérable : il ne s'aime plus. Son
index caresse avec un sentiment de délivrance la gâchette
d'acier. Il la presse mentalement, jouissant déjà d'un
repos éternel. Comme tout va devenir simple…
    Mais
une idée l'arrête et repousse l'arme : il va se tuer
pour échapper à la honte. Il manque de courage. Il
quittera cette terre sans avoir sauvé l'Allemagne, en baissant
les bras au premier échec. Il n'est qu'un apprenti rédempteur.
    Il
pose le revolver sur la table de nuit et se décide à
attendre la police : il ne se tuera que plus tard, lorsqu'il aura
réussi sa vie.

    — A
onze heures trente, quoi qu'il arrive, jour ou pas jour, je me lève.
    Elle
sauta du lit et Adolf H. lui tendit un bol de chicorée dans
lequel elle vint réchauffer son museau.
    Il
savait désormais l'origine du surnom : Onze-heures-trente
se levait
tous les jours à onze heures trente. Plus tôt, elle ne
pouvait pas. Plus tard, elle ne supportait pas.
    Adolf
qui n'avait pas les moyens de peindre à la lumière
artificielle continuait à s'arracher des draps dès
l'aube et travaillait pendant qu'Onze-heures-trente dormait. Les
premières fois, il s'était déplacé comme
un voleur, étranger chez lui, tâchant de ne pas
provoquer le moindre bruit ; mais, par mégarde, des pinceaux
tombèrent, un chevalet se renversa, des jurons partirent, et
il découvrit que rien ne pouvait enlever Onze-heures-trente
aux rivages délicieux où elle s'ébrouait. Mieux,
même, il constata, lorsqu'elle les lui raconta, que ses rêves,
fidèles gardiens de son sommeil, l'avaient protégée
du réveil en intégrant les perturbations sonores dans
leur récit. Adolf savait qu'il pouvait désormais aller
et venir sans craindre de la gêner.
    Pour
se délasser du labeur, il s'approchait souvent d'elle et la
regardait dormir. Où était-elle lorsque son corps
reposait, lové entre les tissus, les joues disparaissant dans
le duvet des oreillers ? A quelle aventure rocambolesque
participait-elle ? Son visage n'esquissait-il pas un sourire ? N'y
avait-il pas eu, à l 'instant,
un frisson de lubricité qui avait parcouru ses lèvres ?
Oui, elle souriait. A qui ? A quoi ? Plusieurs fois, il eut envie de
la réveiller, là, à l'instant, de la secouer
pour connaître le contenu de ses songes, pour l 'en
vider. Es-tu
avec moi ? Es-tu avec quelqu'un d'autre ? Avec qui t'es-tu enfuie
dans ton sommeil ? Mais
chaque fois, le visage était redevenu lisse, plein de chair,
vide de sentiment, rayonnant d'une jeunesse purement matérielle.
Le cœur d'Adolf se serrait alors. Vieillirait-elle ? Oui, mais
comment ? Comment ce teint, pure lumière,

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