La Part De L'Autre
'était une
bonne idée pour Hitler ? Une idée qui faisait de l'effet.
Celle-ci déclenchait à tout coup des vagues de plaisir.
Normal, d'ailleurs. La masse — fût-elle com posée
d'hommes — était féminine ; lui promettre un
époux l'exaltait au plus haut point. Il appelait donc de ses
vœux ce grand homme qu'il ne nommait point, dont il semblait
rêver aussi, jouant les hérauts, les prophètes,
le Jean-Baptiste qui, les pieds dans le Jourdain, annonce et attend
ardemment le Messie.
Ainsi
qu'il l'avait prévu, certains jeunes militants vinrent lui
exposer en privé leur conviction : Hitler était
lui-même le Sauveur qu'il annonçait. Pas Jean-Baptiste
mais Jésus. Il avait dissimulé son ravissement pour
protester. Cela ne calma pas les jeunes exaltés, qui voulaient
à tout prix avoir raison. Hitler choisit alors de placer les
plus têtus à des postes clés du Parti. Ainsi
distingua-t-il Rudolf Hess, bourgeois sec et broussailleux, issu
d'une famille nouvellement ruinée, peinant à trouver sa
place dans la société de l'après-guerre ; membre
de la société Thulé, il avait fait des études
de géopolitique à l'université et assurait avec
une belle rhétorique qu'Hitler était le dictateur
attendu par l'époque et l'appelait « l'Homme » ou
même « le Fürher». Il confia à Hermann
Göring, le beau capitaine aviateur aux manières exquises,
aux irrésistibles yeux bleu
pâle et aux chaussettes de soie rouge, la direction des
sections d'assaut, le groupe de gymnastique transformé en
petite armée diligente.
Il
amplifiait désormais ses discours messianiques en sachant que
ces jeunes gens, dans la foule, murmurent son nom.
«Le
Mussolini italien s'appelle Adolf Hitler. »
Il
avait encore feint de s'indigner en voyant arriver ces pancartes
qu'il avait tant espérées et qui confirmaient que sa
tactique avait pris.
Il
pouvait maintenant compter sur la fidélité
inconditionnelle de gens très différents, qu'il
fréquentait séparément, ce qui lui permettait,
en créant un lien unique avec chacun, de les utiliser les uns
contre les autres à l'occasion.
Nous
n'attendrons pas plus ! Exécution ! L'Allemagne ne veut pas
devenir rouge.
Hitler
frissonnait de joie, ce matin-là. Sa vie devenait un opéra,
il marchait vers son sacre, il serait le Siegfried des temps
modernes, le putsch allait enfin lui donner le pouvoir.
Le 8 novembre
1923 vers dix-huit heures, Hitler, Göring et une poignée
d'hommes armés firent irruption dans la brasserie Bürgerbräu
où le gouvernement de Bavière tenait une réunion
publique.
Hitler
grimpe sur une chaise. La bourgeoise assemblée murmure
d'agacement contre cet importun qui ose interrompre Kahr.
Hitler
dégaine son pistolet et tire un coup au plafond.
Le
silence se fait.
Il
passe sur une table. Puis de la table sur l'estrade. Personne ne
comprend ce qui se passe. Certains le prennent pour un garçon
de café excentrique ; d’autres, voyant briller sa Croix
de fer sur sa veste noire, concluent que ce doit être encore un
ancien combattant qui va leur infliger le récit de sa guerre ;
d’autres ont reconnu l'agitateur d'extrême droite.
Hitler
se plante devant le public, le toise, essaie de ralentir les
battements de son cœur puis braille de sa voix rauque, avec une
émotion qui manque le faire défaillir :
La
révolution nationale a éclaté.
Il
s'attend à une réaction. Il constate que l'assistance,
médusée, ne saisit même pas de quoi il parle,
Cela l'agace.
La
salle est cernée par six cents hommes armés, personne
n'est autorisé à sortir.
Il
voit de la terreur sur certains visages. Cela l'encourage.
Regardez
! Une mitrailleuse à la galerie du premier étage
devrait vous dissuader d'entreprendre des gestes de résistance
inutiles.
Il
sourit à Göring qui, entouré de SA, vient de
braquer la batterie vers l'auditoire. Une femme s'évanouit. On
commence à le prendre au sérieux.
Je
déclare déchu le gouvernement bavarois. Et je déclare
déchu le Reich. Nous allons désormais constituer un
gouvernement provisoire. Je vous signale aussi que nous tenons déjà
les casernes et la police dont les hommes se sont ralliés
spontanément à la croix gammée.
Il
se tourne vers les hommes du gouvernement.
Maintenant,
passons à côté pour distribuer les rôles.
Merci.
Il
laisse le beau Göring haranguer la foule désorientée.
Enfermé
avec le trio gouvernemental, Hitler lui demande d'avaliser les
dispositions
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