La Part De L'Autre
de réaliser
des œuvres qui demandaient du temps pour faire leur effet dans
l'esprit, il ne pensait pas mériter des : « Que c'est
joli ! Comme c'est intéressant
! Quelle beauté ! », ces épithètes
superficielles distribuées par une mondaine traversant au pas
de charge les couloirs d'une exposition canine.
Non
seulement Onze-heures-trente se tut, mais elle n'épuisa pas
vite son plaisir d'observation. Après une heure et demie
accroupie devant les étoiles sans prononcer un mot, elle se
retourna vers Adolf et dit si simplement :
Je
suis très heureuse de les avoir vues.
Elle
s'approcha de lui et le regarda avec encore plus d’admiration
que les œuvres.
Si
tu me fournis un escabeau, je me propose de t'embrasser.
Je
peux me baisser, aussi !
Oui,
si ce n'est pas trop te demander.
Autour
des lèvres chaudes, il eut l'impression de s'abreuver à
un torrent.
Baisse
les rideaux, s'il te plaît.
Il
n'y en a pas.
Alors
ferme les volets, Adolf, fais quelque chose. Nous avons cours de
sculpture ce soir. On met les mains, on ne met pas les yeux.
Mais
je veux te voir.
Quel
impatient ! Et demain ? Et après-demain ? Alors,
sculpture ?
D'accord.
Sculpture.
La
nuit se déroula dans un émerveillement constant. Il y
avait un mélange d'audace et de timidité en
Onze-heures-trente qui rendait Adolf tour à tour audacieux et
timide. Onze-heures-trente, à la différence des autres
femmes qui étaient passées dans ce lit, ne jouait pas
l'extase. Elle n'avait pas, en se déshabillant, endossé
le rôle de l'amante prête à être satisfaite
Quand les étreintes d'Adolf l’irritaient ou même
lui faisaient mal, elle ne se gênait pas pour le lui dire et
Adolf, guidé par cette franchise inouïe, sut ainsi
trouver plusieurs fois les chemins de leur plaisir.
Au
matin, Adolf la regarda dormir, pliée contre lui, en fœtus
; il s'attendrit devant cette jeunesse que le sommeil, à son
insu, rendait à l'enfance, joues rondes, lèvres
boudeuses, paupières sans un pli.
Les
premiers rayons du jour arrivaient sur eux et lui confirmaient la
blancheur éblouissante de cette peau qui, dans la pénombre
bleue océane de la nuit, lui était déjà
apparue comme une nacre vivante et chaude.
Il
ne voulut pas la réveiller en l'étreignant mais éprouva
le besoin de la voir totalement. La posséder par la vue sans
qu'elle le sache. Un viol doux et purement visuel. Un viol de
peintre. Ce serait sa récompense de l'aube.
Il
souleva le drap sans qu'elle bronchât car elle dormait
profondément. Ce qu'il découvrit le stupéfia.
Il
se leva, sentit qu'il allait crier tandis que les larmes lui
montaient aux yeux.
Il
courut se réfugier dans le minuscule cabinet de toilette et
s'assit, d'abord pour calmer son émotion, ensuite pour en
profiter.
Il
n'aurait jamais imaginé cela.
Le
drap était couvert de sang. Onze-heures-trente lui avait fait
le cadeau de sa virginité.
La
fin de semaine approchait et Hitler avait depuis toujours décidé
qu'il faudrait réaliser le putsch un samedi, lorsque toutes
les administrations seraient fermées. Certains proposaient
d'attendre encore. Hitler refusa. Attendre plus, c'était
renoncer.
Vous
êtes du genre à retarder votre montre chaque fois qu'il
est midi moins cinq, c'est intolérable ! L'Allemagne ne peut
plus attendre.
Depuis
quelques semaines, il avait pris l'habitude de faire exprimer ses
sentiments par toute la nation : «L'Allemagne est fatiguée
» signifiait qu'Hitler voulait changer de sujet ; «
l'Allemagne a faim » indiquait qu’Hitler reprendrait bien
du dessert. Ceux qui auraient été disposés à sourire de cette
nouvelle mégalomanie auraient dû renoncer car,
désormais, il régnait une telle attitude d'adoration
inconditionnelle autour du chef que le moqueur aurait subi des
représailles.
Hitler
avait laissé se construire un culte autour de sa
personne. Son époque, parce qu'elle venait de voir tomber
les monarchies, parce qu'elle apprenait sans enthousiasme le terne
régime parlementaire, avait besoin
d'un homme fort, d'un César venant du peuple. Mussolini, le
Duce, depuis que ses Chemises noires avaient marché sur Rome
et arraché le pouvoir, était devenu
le modèle avoué d'Hitler. Dans ses discours, il s'était
mis à souhaiter l'arrivée d'un semblable grand homme
providentiel qui sauverait l'Allemagne. L'ivresse que cette idée
avait procurée aux foules l'avait convaincu que c'était
une bonne idée. Qu
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