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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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Je
suis prêt, dit Adolf.
    Slawomir
ouvrit les yeux, rosit un peu, et regarda autour de lui pour savoir
où il était.
     T'es
de retour sur la terre, mon gros, lui souffla Onze-heures-trente, tu
es devenu la cent quatorzième femme du sultan Ali Baba. C'est
le seul qui a les moyens de te nourrir.
    Elle
se tourna vers Adolf.
     C'est
vrai, qu'est-ce que ça doit bouffer un machin comme ça
!
    Slawomir
se leva, sourd et indifférent, tira Adolf par le bras, sortit.
    Onze-heures-trente
le poursuivit jusqu'à la cage d'escalier.
     Et
revenez quand vous voulez, monsieur Slawomir. On rigole bien
ensemble. Cette fois, je vous ai montré mes seins, la
prochaine fois, je vous tends la fesse gauche.
    Descendant
d'un pas de sénateur, Slawomir se tourna vers Adolf.
     C'est
vrai ? Elle s’est déshabillée devant moi ?
     Oui,
mais quelle importance ? Tu dormais.
     Tout
de même ! fit Slawo, très choqué. Alors on ne
peut plus s'endormir n'importe où tranquillement. Si ma pauvre
mère savait ça...
    Emu
comme s'il avait subi un viol, il s'épongea le front avec son
mouchoir trempé.
    Ils
firent difficilement les huit cents mètres qui conduisaient
à la galerie, Slawomir devant s'arrêter plusieurs fois
pour reprendre son souffle. Un homme les attendait.
     Voilà,
je vous présente Adolf H., dit Slawomir, apoplectique, en
s'effondrant sur son fauteuil où il s'endormit immédiatement.
    L'œil
vert, les cheveux longs sur les côtés, la tête
carrée, le nez droit, assez beau, d'une beauté quasi
sculptée dans la chair, l'homme regardait Adolf avec une
puissance magnétique. Le peintre pensa qu'il devait être
un mage.
     Je
vous félicite, monsieur, vous êtes des nôtres.
     Pardon
? demanda Adolf, craignant qu'une subtilité inconnue de la
langue française l'empêchât de comprendre.
     Vous
êtes des nôtres. Vous êtes un grand. Cette logique
libérée de tout rationalisme, cette fantaisie
capricieuse à l'écoute des pulsions les plus
contradictoires, cette discontinuité dans le discours bien que
vous employiez les moyens picturaux les plus classiques, cette
modernité insolente, ce mélange d'académisme et
de rupture violente qui fait l'avant-garde, bref, je vous reconnais
comme un des nôtres.
    Adolf,
abasourdi, se sentit hypnotisé par cet œil vert. Le
Fakir — il l'appelait déjà ainsi — avait un
rayonnement noir qui le faisait frémir, à mi-chemin
entre le charisme messianique et la séduction libidinale. Le
regard semblait exprimer des arrière-mondes mystiques tandis
que la lèvre inférieure, exagérément
développée, exagérément ourlée,
révélait une forte sensualité. Le Fakir sourit
sans qu'un seul de ses traits se dérangeât, par une
sorte d'éclairement intérieur, comme le ferait une
femme soucieuse de sa beauté.
     Excusez-moi,
balbutia Adolf, mais Slawomir m’a très mal prononcé
votre nom tout à l'heure et j'ai peur que...
     Je
suis André Breton, dit le Fakir, le chef du gouvernent
surréaliste. Je vous emmène.

     Courrier
pour vous, monsieur Hitler.
     Fleurs
pour vous, monsieur Hitler.
     Une
corbeille de fruits pour vous, monsieur Hitler
     Il
y a une dame et un journaliste au parloir qui demandent à vous
rencontrer, monsieur Hitler.
     On
nous a livré les livres que vous avez commandés,
monsieur Hitler ; le bibliothécaire va vous les monter en
personne.
    Toute
la journée, les gardiens venaient frapper avec respect à
la porte de la geôle. On ne savait plus où entreposer
les cadeaux, les lettres d'admirateurs qui affluaient par sacs. On
n'avait jamais reçu tant de visites. Le personnel
pénitentiaire de Landsberg était secrètement
flatté de surveiller un hôte si fêté, un
centre d'attraction mondain ; certains avaient même
l'impression grisante, depuis quelques mois, de servir dans un hôtel
de luxe plutôt que dans une prison.
    On
avait délogé la précédente vedette, Arco,
meurtrier du Premier ministre bavarois Eisner, pour installer Hitler
dans la spacieuse cellule numéro 7, la plus meublée, la
seule disposant d'une aussi belle vue sur la campagne. Dans un riche
peignoir blanc ou dans une traditionnelle culotte de peau, il avait
la liberté de recevoir d'autres détenus, tel Rudolf
Hess qui l'avait rejoint.
    Après
une période de silence où il avait regretté de
ne pas s'être suicidé, Hitler s'était repris. La
première bonne nouvelle avait été l'annonce que
seize nazis étaient morts pendant le putsch : il en

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