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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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Champs-Elysées où ils firent soigner
Neumann.
     Je
suis étonné que tu t'intéresses à mes
nouveaux amis, dit Adolf à Neumann. Ces discussions sur l'art
devraient en principe te paraître totalement futiles.
     Breton
fait partie du parti communiste, dit Neumann avec gêne, et
d'autres surréalistes aussi.
     Ah
bon ? fit Adolf qui allait de surprise en surprise.
     Oui,
il paraît qu'il y a un lien entre la libération de
l'imaginaire et la libération des classes exploitées.
     Ah
? Tu m'en diras tant, fit Adolf, sceptique.
     En
tout cas, on s'est bien marré, conclut Onze-heures-trente.
    Neumann
les abandonna pour rejoindre la maîtresse chez qui il s'était
installé depuis qu'Onze-beures-trente était arrivée
dans la vie d'Adolf et qu'il avait plus ou moins renoncé à
la peinture pour la politique.
    Onze-heures-trente
et Adolf décidèrent de rentrer à pied à
Montparnasse.
     Franchement,
Onze, tu les prends au sérieux ?
     Qui ?
     Les
surréalistes.
     Attention.
Je te signale que tu en fais partie. Surréaliste rayon
peinture. Avec Max Ernst, Chirico, Dali et d'autres. D'ailleurs,
depuis que ça se sait, tu vends un peu plus qu'avant.
     Onze,
je te parle sérieusement. Qu'est-ce que tu en penses ?
     C'est
vivant, c'est bruyant, c'est jeune.
     C'est
idiot.
     Oui.
Et on se marre bien.
     Ça
te suffit, ça : « On se marre bien » ?
    Il
avait parlé avec brusquerie, d'une voix violente. Il découvrit
en se tournant qu'elle avait les larmes aux yeux.
     Oui,
se marrer, ça me suffit, c'est important.
    Elle
ne put plus retenir ses sanglots.
     Onze-heures-trente,
que se passe-t-il ? Tu n'as pas de rhume des foins. Que t'a dit ce
voyant ?
    Elle
détourna la tête.
     Oh,
il m'a dit ce que je savais déjà. Mais je me serais
bien passée d'une confirmation.
     Quoi ?
     Que
je ne vivrais pas longtemps. Que je ne passerais pas les trente ans.
     Allons,
ce sont des sornettes. Comment peux-tu croire…
     Bah,
je le sais depuis que je suis toute petite. Une bohémienne
l'avait vu dans ma main. Après, je l'ai
vu moi-même dans les cartes. Monsieur Jacob, lui, l'a lu dans
le café.
     Et
moi, je lis sur le bout de ma semelle que je vais aller botter le cul
de ce monsieur Jacob !
    Il
prit Onze-heures-trente dans ses bras, la souleva comme une enfant et
mit son visage contre le sien. Il frotta leurs deux nez.
     Je
ne veux plus que tu te laisses pourrir le cerveau par des diseurs de
mauvaise aventure. Tu as une santé robuste et tu vivras très
très très longtemps.
     C'est
vrai ? demanda Onze-heures-trente, les yeux écarquillés
par l'espoir.
     C'est
vrai.
    Le
visage d'Onze-heures-trente s'éclaira.
     Et
tu vieilliras avec moi, ajouta Adolf.
     C'est
vrai ?
     C'est
vrai.
    Onze-heures-trente
entoura les épaules d'Adolf et se laissa aller à
pleurer de soulagement contre son cou,
     Ah...
je suis heureuse... j'ai été bête... tu m 'as rassurée...
je sais que tu as raison.
    Adolf
frissonna. Alors qu'il venait d'affirmer avec force son optimisme, il
ressentit, avec tout autant de force, et d'une manière
incompréhensible, que le petit monsieur Jacob avait sans doute
raison.

    Un
tronc mélodieux. L'homme ressemblait à une souche, par
sa forme massive, sa couleur, son immobilité, son absence
d'expression ; cependant il avait une fente horizontale au milieu du
visage, comme une cicatrice due à un coup de hache, et de
cette fente sortait un chant viril qui emplissait le salon d'été.
     Dieu
tout-puissant, penche-toi sur moi. Conserve la force que tu as
miraculeusement déposée en moi. Tu m'as rendu
énergique, tu m'as donné le pouvoir suprême, tu
m'as doté de qualités sublimes : éclairer
ceux qui rampent, relever ce qui est tombé en ruine. Par toi,
je transforme l'humiliation en grandeur, splendeur et majesté.
    Dans la
grande villa qui s'ouvrait sur les Alpes, l ' assistance écoutait
pieusement le ténor wagnérien entonner la
prière de Rienzi . Tous
les spectateurs sui vaient
le même
concert privé, mais chacun entendait une chose différente.
Les Bechstein, propriétaires du lieu
et fameux
fabricants de pianos, vérifiaient la sono rité
fruitée de
leur dernier modèle, Winnifred Wagner découvrait cet
opéra qu'elle ne faisait jamais jouer à Bayreuth tandis
qu'Adolf Hitler avait, lui, l'impres sion
qu ' on
chantait à pleine
voix son journal intime.
    Le ténor
acheva et reçut les applaudissements modérés
d'une

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