La Part De L'Autre
cruellement. Hitler, furieux, attira son
chien par le collier et le frappa avec sa cravache.
Arrêtez
! Arrêtez ! criait Mimi.
Hitler
se déchaînait sur la bête gémissante et
recroquevillée qui n'était plus qu'une plainte.
Arrêtez
! Je vous en supplie ! Arrêtez !
Hitler
n'entendait plus. Il rouait de coups le compagnon fidèle sans
lequel il disait ne pas pouvoir vivre.
Comment
pouvez-vous être aussi brutal avec cette pauvre bête ?
Hitler
cessa et la regarda, l'œil hagard.
Il
le fallait.
Il
garda sa cravache à la main et s'approcha comme si de rien
n'était. Mimi recula d'instinct.
Quoi,
Mimi ? Vous ne voulez plus m'embrasser ?
Non.
Hitler
devint glacial. Toute la gentillesse qui avait illuminé son
visage dans la soirée disparut. Il s'éloigna dans la
nuit en murmurant sèchement : « Heil »
Le
lendemain, après avoir eu une discussion avec son chauffeur,
Emile, qui lui avait assuré qu'une jeune fille bien élevée
devait refuser le premier baiser, il lui avait envoyé un
bouquet de fleurs pour signifier qu'il avait le cœur brisé
! Elle avait accepté le rendez-vous où il se rendait
aujourd'hui.
La
Mercedes s'arrêta devant le magasin et prit la jeune fille.
Elle était radieuse.
Dans
la voiture, elle s'attendait à ce qu'Hitler menât une
conversation brillante. Lui qui n'était bavard qu'en public et
pour parler politique, fut encombré par cette attente qu'il
tenta de satisfaire tant bien que mal. Après une demi-heure
d'efforts, il trouva une nouvelle tactique.
Je
tiens vos deux mains, vous vous appuyez sur mon épaule, vous
fermez vos paupières et je vous envoie mes rêves.
Mimi,
ravie par cette bizarrerie, s'exécuta. Hitler put aussi la
toucher et la contempler à son aise sans s'épuiser à
faire la conversation.
La
voiture s'arrêta au cimetière. Mimi marqua sa surprise,
mais Hitler expliqua avec un air grave :
Nous
allons sur la tombe de votre mère, mon enfant.
Ils
avancèrent au milieu des allées coquettes et fleuries.
Il faisait trop beau et trop chaud pour qu'on soit triste et Hitler
dut se forcer à créer une atmosphère pathétique.
Au-dessus de la pierre tombale, il parla de sa mère, de son
regard, de son amour éternel. Il pleura beaucoup. Mimi un peu.
Ouf ! Il avait tenu une bonne heure.
Le
lendemain, ils allèrent se promener dans les bois. Ils
coururent entre les arbres. Il lui dit qu'elle était sa nymphe
— une vague réminiscence d'opéra —, ce qui
la fit beaucoup rire, et ils improvisèrent une
course-poursuite ainsi qu'il l'avait vu faire à des amoureux
dans un film.
Il
retourna à la voiture épuisé. L'insatiable
exigea qu'il parlât encore et il s'en tira en faisant semblant
de l'hypnotiser.
Il
se sentait de plus en plus mal à l'aise car il décevait
Mimi. Elle s'attendait à ce qu'il se comportât comme un
homme, qu'il prît des initiatives et qu'il n'en restât
pas aux baisers dans le cou. Or il ne se voyait pas aller plus loin.
Par négligence, il n'avait toujours pas pris le temps de
perdre sa virginité. Ses débuts avec les femmes, cent
fois remis, avaient laissé place à une habitude de
chasteté assez confortable. A trente-sept ans, il éprouvait
un réel bien-être à ne pas avoir de relations
sexuelles car il ne risquait pas la syphilis, il ne perdait ni son
temps ni son énergie, il pouvait flirter avec les femmes sans
jamais penser à mal, il se sentait pur et moral. Comme Rienzi
! Rompre cette paix l'effrayait, et cette peur, qu'il aurait pu
aisément surmonter, comme tout homme, à dix-huit ans,
devenait quasi indépassable à trente-sept. Une
possibilité trop longtemps éludée devient une
impossibilité. Un mur s'était construit. Un mur trop
haut pour qu'il l'enjambât. Il avait d'abord eu l'excuse de la
pauvreté, à Vienne et à Munich, puis celle de la
guerre, puis ses débuts fracassants en politique ; maintenant,
il n'en avait plus et c'était pire ; pour la première
fois, en face de Mimi, il connaissait le besoin d'avoir un corps qui
servît à autre chose que parler, manger, chier et
dormir, et cette nouveauté le paralysait. Il souffrait
d'autant plus qu'il ne pouvait, sur ce point, se confier à
personne, pas même à Emile, son chauffeur, dont il
s'était servi pour faire croire qu’il avait des liaisons
avec des danseuses et des actrices alors qu'il se contentait de leur
payer à manger et à boire.
Qu'allait-il
faire ?
Il
pratiquait la surenchère verbale.
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