La Part De L'Autre
haute société en villégiature ; Hitler,
lui, avait plutôt envie de se signer. Wagner était devenu une
musique religieuse, sa liturgie personnelle, et
il se rendait
aux représentations voisines de Bay reuth ainsi
qu'on va méditer et prier dans une cathé drale.
Maintenant
qu'il s'était retrempé dans l'héroïsme de Rienzi,
il voulait échapper aux femmes qui l'entouraient. Il y avait
beaucoup trop d'admiratrices dans ce salon
pour que la suite de l'après-midi ne tournât pas au
pugilat entre les chignons gris. Il alla faire un baisemain à
Hélène Bechstein, la maîtresse de maison, une
fervente partisane qui avait même, deux ans auparavant, gagé
des bijoux pour fournir de l'argent au Parti ; en la complimentant,
il lui montra qu'il portait bien la dernière cravache qu'elle
lui avait offerte.
Oh
non ! Vous n'allez pas nous quitter si vite !
Je
dois aller écrire.
Si
c'est pour l'Allemagne, je vous pardonne.
Il
s'engouffra dans sa Mercedes en ne laissant que des cœurs en
écharpe derrière lui.
Il
allait rejoindre Mimi.
Mimi,
Mimilein, Mizzi, Mizzerl, il n'avait jamais de diminutifs assez
tendres pour roucouler son nom.
Elle
avait seize ans. Il en avait trente-sept.
Elle
jetait sur lui les yeux qu'on jette sur une vedette politique
lorsqu'on est une adolescente qui s'ennuie dans un petit village des
Alpes bavaroises. Elle était aussi émerveillée
que si elle avait rencontré Rudolf Valentino.
C'étaient
d'abord leurs chiens qui avaient sympathisé devant le magasin
familial, ce qu'Hitler avait trouvé de très bon augure.
Avant de remarquer la jeune fille, Hitler avait senti l'émotion
qu'il provoquait chez elle. Ensuite, il avait contemplé ce
corps élancé, frais, joyeux, qui semblait donné
par la rosée, ces joues si rondes et si douces, des fruits sur
l'arbre, puis la blondeur insouciante, les yeux lilas. Elle était
née femme pendant ce bel été. Il avait constaté
qu'elle rougissait de son regard. Elle, elle le trouvait superbe,
dans sa culotte de peau, avec ses grosses chaussettes gris clair et
son anorak serré par une ceinture en cuir, tel qu'on le voyait
dans les journaux, et puis rendu si sombrement romantique par son
séjour injuste en prison. Il s'était approché,
avait usé de la célèbre fixité de ses
prunelles pervenche pour la troubler avant de la complimenter sur son
chien. Ils avaient parlé d'animaux pendant une heure. Lorsque
Hitler avait ensuite demandé à la sœur aînée
la permission d'emmener Mimi en promenade, Mimi, confuse d'avoir
éveillé l'intérêt d'une star, s'était
enfuie en courant.
Hitler
se sentait régénéré par cette jeunesse :
non seulement Mimi le dévorait avec les mêmes pupilles
énamourées que toutes ses mères protectrices,
mais elle était, elle, beaucoup plus agréable à
regarder que ces dentiers perlés et ces rombières
ménopausées. En plus, elle ne lui demandait rien ; elle
était vaincue d'avance. Lorsqu'il la courtisait, il avait
1'impression d'étaler un bon beurre des Alpes sur une tranche
de pain d'épice, ça se faisait tout seul.
Pour s 'assurer
de son prestige, il l'avait invitée à une réunion
politique où il savait qu'il tiendrait la vedette. Il avait
alors sorti tous les feux de son éloquence, transformant ce
modeste rassemblement dans le villa de Berchtesgaden en une rencontre
essentielle où se jouait le destin de l'Allemagne ; il
crépitait, passant du lyrisme à l'énergie, de la
nostalgie à l’espoir de lendemains radieux, de la haine
à l'attendrissement patriotique, offrant un festival
pyrotechnique qui lui valut un accueil délirant. Au repas, il
tint à ce que Mimi et sa sœur fussent assises aux places
d'honneur, juste à côté de lui, et il lui mit le
feu aux joues en lui avouant qu'il n'avait parlé que pour
elle. Il regardait cette bouche ourlée, tendre, rose, et, au
dessert, n'y tenant plus, il lui donna à manger des morceaux
de gâteau. D'une seconde à l'autre, il la traitait comme
un bébé ou comme une femme, ce qui tendait
les nerfs de l'adolescente. Au digestif, il fit
un parallèle
entre la mère que Mimi venait de perdre à la suite d'un
cancer et sa propre mère, madame Hitler, ce qui lui brouilla
les yeux de larmes et l'autorisa
à coller sa cuisse contre celle de la jeune fille.
Puis ils
sortirent dans la nuit. Hitler se pencha vers Mimi, effleura son
épaule et s'approcha pour l 'embrasser.
A cet instant, les deux chiens se jetèrent l'un sur
l'autre et se mordirent
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