La Part De L'Autre
trembla qu'il eût
tout deviné.
Je
les connais, ces professeurs de chant : « Oui, mademoiselle
Raubal, vous avez une très jolie voix mais il faut entièrement
refaire votre technique. Je peux m'en occuper. C'est quatre leçons
par semaine à cinquante marks l'heure. » Et, à ce
moment-là, tu voudras rester à Vienne.
Mon
petit oncle, je te jure que non.
Il
la regarda dans les yeux, scrutant ses états d'âme.
Et
pourquoi me jures-tu que non ? Si ce Vögel est le meilleur
professeur du monde ?
Je
te jure que non... Parce que je ne veux... pas te quitter.
Hitler
sourit. Il détourna même son visage vers la fenêtre
pour cacher son émotion. Elle sentit qu’elle gagnait.
Trois
jours, mon petit oncle. Trois petits jours sans toi et je reviens.
D'accord.
Mais ta mère te servira de chaperon.
Hors
d'elle, Geli repoussa la main d'Hitler et se mit à tempêter.
J'ai
vingt-trois ans ! Je peux sortir sans chaperon, tout de même !
Qu'est-ce
que ça change si tu n'as rien à te reprocher ?
Je
ne veux pas être accompagnée par ma mère.
Tu
le seras, sinon tu n'iras pas. C'est mon dernier mot.
Mais
est-ce que je suis prisonnière ou quoi ? Hitler sursauta.
Prisonnière
? De quoi parles-tu ?
Geli
se mit à arpenter la pièce en pleurant.
J'ai
vingt-trois ans, tu as repoussé tous les hommes qui
s'approchaient de moi et je ne peux même pas sortir sans
surveillance. J'appelle cela être prisonnière. Qu'est-ce
que c'est, mon avenir ? Un an ? Deux ans ? Vingt ans de prison
encore ? Qu'est-ce que c'est, mon avenir, hein, oncle Alf ?
Dis-le-moi donc !
Hitler
la regarda paisiblement et dit avec douceur :
Tu
vas m'épouser.
Devant
l'énormité de la suggestion, Geli se mit à
ricaner violemment puis, remarquant l'immobilité de son oncle,
elle comprit qu'il ne plaisantait pas. Elle s'approcha de lui.
Oncle
Alf, je crois que j'ai mal entendu. Peux-tu répéter ce
que tu viens de dire ?
Tu
vas m'épouser. Tu vas devenir madame Hitler. Tu n'es pas
prisonnière. Tu es la femme de ma vie.
Geli
eut si peur de la fixité de son regard qu'elle courut
s'enfermer dans sa chambre.
Vingt
minutes après, Hitler passait devant sa porte et lui disait,
sur le ton le plus normal :
Geli,
je pars à Nuremberg. Je reviendrai demain soir.
Elle
l'entendit donner quelques ordres aux domestiques puis pousser la
lourde porte d'entrée.
Un
fou ! Elle était tombée dans le piège d'un fou.
Son comportement des deux dernières années s'éclairait
tout â coup. Il ne l'avait recueillie ni pour elle ni par sens
de la famille, mais pour lui-même, parce qu'il était
amoureux d'elle. Il avait écarté les prétendants
en usant de son autorité d'oncle pour faire de la place au
futur époux.
Geli
roulait de désespoir dans son lit, le trempant de ses
larmes, appelant Jochen au secours, s'exaspérant de tous ses
amoureux perdus, horrifiée d'avoir laissé, par sa
naïveté, sa gentillesse, sa candeur, cet oncle croire
qu'il arriverait à ses fins. La joyeuse fille n'était
pas préparée à tant de souffrance et de
désillusions. Elle essayait de trouver une idée à
laquelle s'accrocher ; elle n'en trouvait aucune.
Soudain,
elle sauta sur ses pieds, courut dans la chambre de son oncle et
ouvrit le tiroir de la table de nuit. Surtout
aller vite et ne pas réfléchir . Elle
saisit le revolver et courut s'enfermer dans sa chambre.
Là,
elle visa le sein gauche et sans attendre une seconde tira.
Elle
s'écroula, morte, dans une mare de sang.
Les
domestiques ne la trouvèrent que le lendemain en défonçant
la porte après s'être étonnés qu'elle ne
répondît pas à leurs appels.
On
appela la police.
On
parvint à joindre Hitler à Nuremberg.
Votre
nièce, Geli Raubal, s'est tuée avec votre revolver. La
police vous attend.
La
première pensée qui traversa l'esprit d'Hitler fut
qu’on allait l'accuser de meurtre. La deuxième fut la
colère devant cet acte stupide. La troisième fut de
peine.
Tout
chez le comte de Beaumont était extravagant mais
raisonnablement.
Ses
fêtes costumées faisaient courir à son hôtel
particulier de la rue Duroc tout ce que Paris comptait de gens
lancés, peintres, journalistes, directeurs de théâtre,
acteurs, poètes, chorégraphes, autant d'indivis dus qui
faisaient parler d'eux et auxquels se joignaient quelques personnes
discrètes car millionnaires, banquiers, agents de change et
financiers. L'art s'affichait,
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