La Part De L'Autre
dans
sa tête, cela, il ne le voulait plus. Il avait préféré
le bonheur. Même s'il y avait de l'amertume dans le goût
du bonheur.
Eh
bien, papa, tu rêves ?
La
petite fille le tirait par le bras.
Chat
! Je t'ai touché. C'est ton tour.
Il
rit en reconnaissant qu'il avait perdu.
Et
maintenant, si nous allions au bac à sable ?
Oh
oui !
Rembrandt
et Sophie sautaient de joie. Leur père provoquait l’admiration
de tout le monde au bac car il traçait des figures
éblouissantes dans le sable. Il allait les émerveiller
et, dans le même temps, les emplir de fierté vis-à-vis
de leurs camarades.
Adolf
improvisa un cygne, puis un dragon puis un nuage de flamants roses.
Enfants et parents applaudissaient chaque fois.
Il
se lança alors dans une vraie scène : un combat de
chimères, gorgones contre centaures. L'assistance retenait son
souffle.
Une
femme s'approcha, une haute femme souple dont les cheveux torsadés
entremêlaient au moins trois blonds différents.
Elle
regarda la fresque qui s'ébauchait et murmura avec tristesse
lorsque Adolf passa devant elle :
J'aimerais
tellement que tu ne dessines pas seulement
sur le sable.
Au
sortir de la réunion avec ses chefs d'armée, ce 9
novembre 1937, Hitler savait ce qui lui restait à faire. Du
ménage ! Il s'était livré à un petit
discours de deux heures qui dessinait les légitimes
revendications territoriales de l'Allemagne pour agrandir son espace
vital, sans quoi l'économie, l'agriculture et le calme social
souffriraient. Il avait esquissé plusieurs plans, parlant de
l'Autriche, de la Tchécoslovaquie, de la Pologne. Il avait
fait exprès d'être flou car il voulait tester ses
interlocuteurs, la confusion lui permettant de repérer ce
qu'ils croyaient comprendre quand ils ne comprenaient rien, de les
débusquer, de faire sortir leurs obsessions secrètes du
terrier. La chasse avait été décisive : il
fallait se débarrasser du général Blomberg et du
général Fritsch.
Ces
officiers traditionnels qui étaient arrivés aux plus
hauts grades par une longue et valeureuse carrière qui n'avait
rien à voir avec le nazisme avaient osé se montrer
sceptiques et soulever des objections, Ils estimaient l'usage de la
force prématuré et craignaient une riposte de la
Grande-Bretagne qui entraînerait l'Allemagne dans une guerre.
Bref, ils refusaient la politique d'Hitler.
Hitler
s'était montré très ouvert, très
conciliant et avait fait mine d'accepter la discussion comme les
critiques. Il avait souri. Il les avait laissés entrer dans
son piège. Il s'était même offert le luxe d'être
chaleureux à la fin de la réunion, suppliant le général
Fritsch de ne pas annuler ses projets de vacances.
Il
devait agir avec discrétion. Il ne pouvait les éliminer
comme il avait supprimé le général Röhm, ce
sodomite ambitieux, au cours de la Nuit des longs couteaux, en 1934.
Aujourd'hui, le monde entier avant les yeux fixés sur lui et
une violence manifeste contre des généraux
récalcitrants ferait comprendre immédiatement aux
ennemis qu'ils devraient accélérer leur réarmement. Jamais
deux fois la même chose, jamais deux fois . Il
jubilait. Préparer un mauvais coup le rafraîchissait.
Une ondée de jeunesse.
L'affaire
ne prit que quelques semaines.
Le
général Blomberg, veuf, déjà père
de cinq enfants adultes, rencontra dans un jardin public une jolie
femme, Margarethe Gruhn, de trente-cinq ans plus jeune que lui, et
fut saisi d'une grande passion sensuelle. Fou amoureux, reconnaissant
au Ciel de lui apporter une si belle aventure à un âge
avancé, il voulut l'épouser et en demanda
l'autorisation à Hitler, commandant suprême des forces
armées. Le Führer accueillit la demande avec enthousiasme
et se proposa même d'être témoin au mariage, à
condition que celui-ci fût discret ; il alla jusqu'à
recommander Göring comme second témoin. Blomberg, que la
hiérarchie moquait de vouloir épouser une jouvencelle
et simple dactylo, en pleura de reconnaissance, ému que les
deux plus importants dignitaires du Reich se montrent si au-dessus
des contingences sociales. La cérémonie eut lieu, le 12
janvier 1938, au ministère de la Guerre dans la plus stricte
intimité.
Dix
jours plus tard, Hitler avait dans les mains un dossier explosif :
celui de Margarethe Gruhn, maintenant madame la générale
Blomberg, où l'on trouvait pêle-mêle des photos
pornographiques qu'elle avait
faites quelques années auparavant
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