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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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laissa aller à
exprimer son tempérament mystique.
     Je
le sais aujourd'hui, la Providence m'a choisi pour ramener ma patrie
au sein du Reich allemand. Vous êtes, les premiers, témoins
que j'ai accompli cette mission.
    La
foule délirait tellement d'enthousiasme qu'Hitler décida
qu'il différerait son arrivée à Vienne pour
rester une journée à Linz.
    La
nuit, à l'hôtel Weinzinger, il ne parvint pas à
dormir, malgré ses yeux fixés sur le cours lent et
hypnotique du Danube. Cela
a été tellement facile. La Grande-Bretagne et la France
qui se dégonflent devant moi ! J'obtiens l'Autriche simplement
par des menaces. Sans un coup de feu. Cela prouve que je suis
légitime. Tout le monde me déconseillait de risquer ça . J'y
suis allé seul. Et j'ai eu raison. Je n'écouterai plus
jamais quiconque. Demain, j'irai sur la tombe de
mes parents. Ce sera très beau. Goebbels m’a promis des
photographes et des caméras. Très belle image, ça,
conquérir l'Autriche avec un bouquet de fleurs. Décidément,
tous des cons, des timorés, des crétins. Ne plus
écouter personne. Jamais.
    Le
lendemain eut des allures de réchauffé car, Hitler
ayant déjà tout imaginé pendant la nuit, la
réalité le déçut. Il n'éprouva
rien lorsqu'il se rendit sur la tombe familiale ; il exécuta
son hommage pour les reporters comme un acteur muet, paniqué à
l'idée de ne pas être convaincant, il dut ensuite subir
la joie et les souvenirs des autres ; il se sentit dépossédé
de ses émotions.
    Il
fit route pour Vienne où il reçut un accueil
enthousiaste. Vienne, la ville qui l'avait humilié, refusé,
jeté à la rue, réduit à la mendicité
et au vagabondage, Vienne où il avait eu froid, faim, où
il avait douté de lui, Vienne la byzantine, l'orientale,
l'enjuivée, la courtisane sans scrupules et couverte de
bijoux, Vienne se vautrait comme une chatte amoureuse sous ses pieds.
Placé au-dessus de deux cent cinquante mille personnes qui
gémissaient de joie sur la place des Héros, il voyait
mourir son passé, ses échecs, s’asservir ceux qui
l'avaient rejeté et il savourait, entre ses mâchoires
serrées, ce délicieux goût de sang
qu’accompagnent les extases du ressentiment. A Linz, il avait
joui de joie. A Vienne, il jouissait de vengeance.
    En
fin d'après-midi, il assista à un défilé
militaire puis reçut brièvement le cardinal Innitzer,
primat d'Autriche, accompagné de ses évêques et
ses archevêques, qui lui apportait le soutien sans réserve
des catholiques autrichiens au nouveau régime. Bouffon, pensa
Hitler devant l'homme de satin rouge, tu
n'en as plus pour longtemps à jouer les importants. Il n'y a
plus de place pour ta religion dans l'Etat nazi II est temps défaire
mourir aussi le christianisme. Dans cinq ans, on ne verra plus un
crucifix ! Il
fit quelques courbettes à la cappa cramoisie et prit un avion
pour Berlin.
    Réinstallé
à la chancellerie, il put constater dans les jours suivants
que la Gestapo faisait très bien son travail à Vienne :
elle avait récupéré les dossiers de police,
raflé les socialistes et les communistes ; les boutiques et
les appartements juifs étaient saccagés, les Juifs
dépouillés de leur argent, de leurs bijoux, de leurs
fourrures et placés en détention préventive. Une
épidémie de suicides poursuivait l'œuvre
purificatrice. Ceux qui avaient encore été épargnés
par un jeu de protection internationale, comme le docteur Sigmund
Freud, préparaient leur départ. On luttait mieux ainsi
contre les ennemis de l'intérieur. Seule la guerre permettait
d'être logique et efficace, Hitler venait d'en avoir la
confirmation.
    Très
vite, il se détourna donc de l'Autriche et n'y songea plus. Il
se penchait désormais vers la Tchécoslovaquie.

    Le
Jardin des Délices avait son enseigne non loin du ministère
de la Guerre, ce qui ajoutait à la clientèle des
fidèles un va-et-vient de généraux, d'amiraux,
d'épouses de généraux, d'épouses
d'amiraux, de maîtresses de généraux et de
maîtresses d'amiraux. Cette haute société
raffolait des parfums de Sarah Rubin stein , d'abord
parce qu'ils étaient rares, ensuite parce qu'ils étaient
chers, enfin parce qu'elle les faisait elle- même , de
façon artisanale, dans son arrière-boutique, entre ses
chaudrons et ses cornues. Le magasin aux boiseries d'or et d'ébène,
aux lourds flacons de cris tal dont
les bouchons facettés renvoyaient un perpé tuel arc-en-ciel,
dont les étiquettes étalaient

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