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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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paix.
     Sauveur
de la paix, quelle idée grotesque ! Je gouverne des lâches,
des mous, des douillets. Ils ont des mentalités de
défaitistes.
    La
peur de la guerre... Ces derniers mois, il venait de comprendre que
ce seul sentiment gouvernait les esprits, ceux de ses ennemis comme
ceux de ses collaborateurs. Eviter le combat armé ! La France
et la Grande-Bretagne avaient bafoué leurs accords d'alliance
avec la Tchécoslovaquie parce qu'elles avaient peur de la
guerre. Mussolini avait supplié Hitler de ne pas faire entrer
ses tanks en Tchécoslovaquie et obtenu la réunion de
Munich parce qu'il avait peur de la guerre. Göring, son bras
droit, et tous les généraux du Reich avaient préféré
le règlement diplomatique parce qu'ils avaient peur de la
guerre. Le peuple allemand, le peuple anglais, le peuple français
et le peuple italien accueillaient leurs chefs avec soulagement parce
qu'ils avaient eu peur de la guerre. La peur de la guerre n'était
pas le talon d'Achille des nations, mais leur colonne vertébrale
!
     Mais
je n'ai pas peur de la guerre, moi. Et je la veux, la guerre ! Et je
la ferai.
    Hitler
se fit préparer un bain moussant par son valet Seul un long
séjour dans les eaux chaudes, savonneuses, maternelles, aux
senteurs de violette, arriverait à l'apaiser.
     Et
surtout, ne laissez pas rentrer Eva Braun. Qu'on me laisse tranquille
!
    Le
valet parti, Hitler se déshabilla et, malgré lui, se
surprit nu dans la glace. Il se sourit. Voilà devant quoi le
monde tremblait ! C'était grotesque ! Le monde entier était
grotesque !
    Il
disparut dans l'eau où il eut l'impression, sous l'effet de la
chaleur, de se liquéfier en s'enflant aux dimensions de la
vaste baignoire arrondie.
    Il
n'avait jamais bien compris pourquoi il n'avait pas bénéficié
d'un corps qui ressemblât à son âme, un corps
fort, dur, puissant, musclé, du même fer que sa volonté,
un corps d'athlète aryen comme il en faisait mettre partout
dans les monuments du Reich.
    Il
sortit sa jambe du bain : non, décidément, il n'avait
pas la cuisse de son âme. Il se tâta sous l'eau : ni la
fesse. Il regarda ses bras mous, laiteux, dont la chair s'égouttait
sur le fil de l'os, ses pectoraux qui dégoulinaient en limaces
vers ses aisselles flasques, son ventre plus détendu que
tendu. Il s'épargna l'examen déprimant de son sexe qui
s'atrophiait de plus en plus sous l'effet de la tension nerveuse et
auquel Eva Braun n'avait même plus accès car il tenait à
garder toute son énergie pour ses projets. Il haïssait de
plus en plus ce physique qui ne lui ressemblait pas, indigne de
lui, et qui allait sans doute bientôt le lâcher. Cela
avait été longtemps une souffrance de voir, au détour
d'une rue, d'une revue, d'une visite, son vrai corps sur l'âme
idiote d'un autre, la beauté péremptoire qu'il aurait
méritée. Une flèche lui perçait alors le cœur
et l'empoisonnait. Dépit. Injustice. Jalousie. Il n 'en
avait été guéri qu'aux jeux Olympiques de
Ber lin , en
1936, lorsque les athlètes américains avaient remporté
des records. D'abord choqué qu'une prétendue grande
nation comme les Etats-Unis envoyât des nègres pour la
représenter, il en avait conclu, en observant ces champions
objectivement harmonieux et musclés — quoique noirs —,
objectivement forts et performants — quoique noirs — que,
définitivement, la chair
ne disait pas la vérité de l'esprit. Depuis lors, il couvrait
tous les corps, le sien comme celui des autres, de son mépris.
    Seule
son âme était belle. Il était amoureux de son
âme. Il n'en avait jamais connu d'aussi attachante. Pure,
idéaliste, désintéressée, méprisant
l'argent et le confort matériel, toujours préoccupée
de rendre la vie plus saine, plus juste, plus grande, toujours
obsédée par l'intérêt général,
elle était palpitante de lumière. Hitler ne connaissait
personne d'aussi peu occupé de soi et aussi ouvert à
l'intérêt général que lui. L'intérêt
général ne signifiait d'ailleurs pas « les autres
» — car « les autres » le fatiguaient vite —,
mais les principes de la société et de la nation. Il
avait l'âme généreuse et politique.
    Il
fit couler un peu d'eau chaude pour se maintenir dans l'extase.
    Chamberlain
avait peur de la guerre et voulait plaire à son peuple dont il
avait peur aussi. Daladier avait peur de la guerre et voulait plaire
à son peuple dont il avait peur aussi. Hitler, lui, n'avait
pas peur de la guerre, n'avait

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