La Part De L'Autre
Berlin,
faisait des signes d'adieu à son vieux professeur.
«
Mon Dieu, pas lui, s'il vous plaît. Pas lui qui est le plus
doué. Vous avez déjà laissé échapper
Bernstein. Ne recommencez pas. »
Cinquantième
anniversaire d'Hitler.
Faste
et extravagance menaient les festivités.
Hitler,
à la tête de cinquante limousines, inaugurait le nouvel
axe est-ouest qui partageait Berlin, sept kilomètres de
goudron brillant comme de la cire, sept kilomètres d'étendards
nazis éclairés par des milliers de torches, sept
kilomètres de foule amoureuse retenue par des cordes.
Sur
des rails et des câbles, des caméras mobiles, satellites
autour du soleil, enregistraient le moment historique en filmant
Adolf Hitler.
A
la chancellerie, les cadeaux s'amoncelaient : nus de marbre blanc,
moulages de bronze, porcelaines de Meissen, peintures à l'huile,
tapisseries, monnaies rares, armes anciennes, coussins brodés.
Hitler passa au milieu, en remarqua certains, lâcha quelques
sarcasmes devant d'autres, en ignora la plupart, comme
arbitrairement, juste pour marquer qu'il était bien le Führer.
Le soir,
Albert Speer lui offrit une maquette de son arc de triomphe, une
réduction en plâtre et en bois, haute de quatre mètres.
Plusieurs fois durant la nuit, Hitler quitta sa chambre pour
retrouver avec émotion l'édifice qui témoignerait
de son éminence dans les siècles à venir.
Le
lendemain, pendant le défilé militaire, il stupéfia
tout le monde en se tenant cinq heures, sans faiblir, debout, la main
tendue, raide, concentré, aussi imperturbable que sa propre
statue. Il avait tenu à faire le plus gigantesque étalage
de sa force militaire afin de montrer aux puissances occidentales ce
qui les attendait si elles se mettaient en travers de l'Allemagne.
Naturellement les sièges des ambassadeurs de France,
Grande-Bretagne, Etats-Unis et Pologne étaient demeurés
vides mais qu'importait ! Dix mille mètres de pellicule
avaient enregistré l'événement et seraient
rapidement projetés dans les cinémas du monde entier.
Il
savait que l'Allemagne n'était, sur le plan militaire, pas
encore prête pour la guerre mais elle l'était bien plus
que les autres pays. Il continuait à intensifier le réarmement
et, comme il tenait à annexer la Pologne au plus vite, il
avait accepté d'entreprendre des négociations avec
l'ennemi absolu, le diable, le décadent, le dégénéré,
le communiste Staline.
Dans
l'été, l'improbable se produisit.
Hitler
et Staline, les deux ennemis irréductiblement opposés
sur l'idéologie plus que sur les méthodes, venaient,
par l'entremise de leurs ministres Ribbentrop et Molotov, un pacte de
non-agression germano-soviétique.
A
Berlin, Hitler fit servir le Champagne. Il se tapait Sur les genoux
comme s'il avait fait une bonne farce.
Les
Français et les Anglais n'en reviendront pas, hurlait-il en
riant. Et mes généraux non plus !
Le
1er septembre, à quatre heures quarante-cinq du matin, il
donnait Tordre à la Wehrmacht d'attaquer la Pologne.
La
France et l'Angleterre mirent deux jours à comprendre
qu'Hitler irait jusqu'au bout dans sa conquête du monde. Le 3
septembre, à onze heures, Chamberlain déclarait la
guerre à l'Allemagne sur les ondes de la BBC. A dix-sept
heures, Daladier, presque à reculons, faisait la même
chose à Paris.
Cette
nuit-là, Hitler, sur sa terrasse de Berchtesgaden, contemplait
les montagnes. La nature lui faisait fête en lui offrant un
merveilleux spectacle : une aurore au crépuscule. Un météore
rose, vif, incandescent inondait les bois couleur d'algues noires de
lumière rouge tandis que le firmament déclinait toutes
les nuances de l'arc-en-ciel.
Hitler
et ses aides de camp absorbaient cette splendeur sans mot dire. Leurs
visages et leurs mains avaient pris une teinte irréelle.
L'univers semblait avoir tout entier basculé dans le songe.
Même les silences qui sortaient de la forêt semblaient
signés de Wagner.
Le
phénomène dura une heure. Les dirigeants nazis
redevenaient des enfants. Tout en contemplant le ciel tumultueux
crevé de luminescences, ils voyaient leur chef en figure de
proue à l'avant du balcon comme un magicien fabuleux qui
saurait parler et commander aux éléments.
Lorsque
la nuit replomba le ciel, Hitler se tourna vers eux et murmura :
Cette
fois-ci, il y aura beaucoup de sang.
Nous
fallait-il une guerre pour nous retrouver ?
Sarah
avait dit cela en glissant du lit pour rejoindre la salle de
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