La Part De L'Autre
pas peur de son peuple, et ne voulait
plaire à personne. Qu'est-ce que le pouvoir absolu ? Faire
peur à tout le monde et n'avoir peur de rien.
Hitler
soupira d'aise.
Il
ne se laisserait désormais plus freiner dans sa conquête
car il avait la supériorité inexpugnable de savoir
comment les autres fonctionnaient sans fonctionner comme eux.
Il
y aurait la guerre. Et la guerre à outrance.
La
seule résistance venait des Allemands. Ils souhaitaient la
paix. Les Allemands n'étaient décidément pas à
la hauteur de l'Allemagne. Comme le corps d'Adolf Hitler ne valait
pas son âme. Pareil.
Il faudrait que Goebbels actionne plus fort les soufflets de sa
propagande . Ou
bien, si l'on échouait à réformer la mentalité
du peuple, il fallait le mettre devant le fait accompli et
l'entraîner malgré lui. Une fois dans la logique du
combat, il ne pourrait plus reculer. Les dirigeants ont besoin de
l'assentiment de leur peuple dans les périodes de paix ; en
guerre, c'est la guerre qui commande.
Adolf
H. avait accompagné ses étudiants à la gare.
Lorsqu'il les vit en uniforme, encombrés de leur casque,
besace et mitraillette, il comprit qu'il les perdait pour toujours.
Même si la mobilisation durait peu, même si l'Académie
indépendante rouvrait bientôt ses cours et accueillait
dans trois mois ces jeunes hommes en civil derrière leurs
chevalets, ils ne seraient plus jamais les mêmes.
L'enthousiasme avec lequel ils partaient pour la Pologne, cela seul
suffisait à les altérer. Ensuite, il y aurait
l'expérience du combat, la proximité de la mort pendant
les longues heures vides ravagées par l'angoisse, les
blessures, les deuils. Adolf avait connu tout cela, en son temps. La
guerre avait fait de lui le peintre qu'il fut dans les années
vingt-trente, pacifiste, vorace, amnésique, avide de
nouveauté. Même s'il l'avait haïe, la guerre
l'avait fait autant qu'il l'avait faite.
Même
Heinrich, son élève préféré qui
ressemblait à un ange oublié sur la terre par Raphaël,
avait revêtu l'uniforme verdâtre, coupé ses
cheveux et endossé la joie de
rigueur.
A
bas Versailles ! Beck, salopard ! Vive l'Allemagne ! Faisons revenir
à l'Allemagne les territoires usurpés par les Polonais.
Depuis
le début des années trente, la République avait
laissé place à un régime autoritaire de droite.
L'ami Neumann, toujours rouge, pestait contre ce gouvernement qu'il
taxait de fascisme ; mais Adolf savait que sa mauvaise foi de
bolchevique poussait son ami à noircir ses adversaires. Le
régime de droite allemand, bien qu'appuyé sur l'armée,
n'avait rien à voir avec le régime de Mussolini.
Autoritaire mais pas totalitaire, conservateur et non
révolutionnaire, appuyé sur les élites anciennes
et non sur les masses populaires, il avait su profiter de la crise
économique pour arriver au pouvoir et il exploitait le
ressentiment nationaliste pour s'y maintenir. Après avoir
aboli plusieurs clauses de l'armistice, récupéré
la Rhénanie et obtenu le droit à la remilitarisation,
il dénonçait aujourd'hui la carte redessinée en
1918 à Versailles. Toute l'Allemagne réclamait ces
terres et ces peuples qui appartenaient auparavant au Reich de
Bismarck et qui avaient été abusivement et hâtivement
donnés aux Polonais.
Récupération
! Ce qui a été allemand doit le redevenir !
Le
régime n'avait aucune vue impérialiste sur l'Autriche,
qui était son partenaire économique confirmé, ni
sur la Tchécoslovaquie ; il exigeait simplement de retrouver
des territoires confiés à la Pologne par les
vainqueurs.
Celle-ci,
dirigée par Beck, n'avait trouvé personne pour la
soutenir. Ni la Grande-Bretagne ni la France n'étaient prêtes
à se battre pour ces zones discutables ; et encore moins la
Russie qui, elle aussi, estimait qu’elle devait récupérer
des terres en Pologne. Certains ambassadeurs, pour se décharger
du problème, parlaient même du droit des peuples à
l'autodétermination. Le régime avait donc compris qu'il
pouvait attaquer la Pologne dans l'indifférence, presque dans
la légitimité, sans craindre de déclencher une
guerre européenne.
Les
Polonais allaient se défendre avec force.
Certes,
ils étaient courageux et entraînés, mais
numériquement l'Allemagne devait l'emporter.
«Numériquement...,
songea Adolf. J'espère que dans les pertes, il n'y aura aucun
de mes étudiants. Et surtout pas Heinrich. »
Déjà,
le wagon emportait le jeune homme qui, sans famille à
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