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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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d'une écri ture élégante
des noms qui faisaient rêver, L'Eau
joyeuse, L'Eau des Muses, Le Reflet de Narcisse, Les Larmes d'Echo , ne
désemplissait pas depuis sa création, belles toilettes
et uniformes s'y succédant et brassant les buées de
cardamome, santal et rose safranée qui s'échappaient
des vaporisateurs.
    Sophie
et Rembrandt avaient vraiment l'impression d'être dans le monde
des adultes lorsqu'ils se trouvaient à la parfumerie. Autant
leur père leur semblait un compagnon de jeux qui appartenait,
dessins compris, à l'enfance, autant leur mère, avec
ses employés, ses vendeuses, son comptable, ses livreurs, ses
batailles avec les fleuristes de Hollande ou du sud de la France afin
qu'ils livrent à temps, ses piles de pièces et de
billets qu'elle emportait à l'appartement chaque soir, ses
discussions tumultueuses avec son banquier au sujet des traites, des
crédits et des taux d'intérêt, elle, était
insérée dans l'attirante réalité. Sarah
Rubinstein parlait à des ministres, des officiers, des nobles
; elle plaisantait avec leurs femmes ; elle apprenait souvent bien
avant les journaux les nouvelles que tout le monde commenterait plus
tard.
    Adolf
H. aimait venir dans l'univers de son épouse. Il lui était
demeuré étranger. Autant qu'elle. Il admirait cette
femme moderne, autonome ; il la connaissait peu et lui faisait très
bien l'amour ; au fond, il se sentait son amant plutôt que son
mari, un amant encore dans la période des découvertes,
des étonnements, un amant sans habitudes. Il se disait qu'un
jour il la cernerait mieux, qu'il avait encore du temps devant lui.
Il l'avait épousée parce qu'elle le désirait et
parce que Onze-heures-trente, en mourant, l'avait souhaité
pour lui. Ça n'avait pas été une décision
personnelle. Il y avait consenti plus qu'il ne l'avait voulu. C'était
sans doute la raison pour laquelle il s'étonnait toujours de
leur vie, de leurs enfants, de leur entente. Fugitivement, il se
sentait un imposteur, mais, depuis la disparition d'Onze, il avait de
toute façon du mal à aborder les rives de la réalité.
     Papa,
pourquoi as-tu toujours l'air surpris quand tu me regardes ?
    Sophie
posait la question avec tant de sérieux qu'il était
impossible d'éluder la réponse.
     Je...
je ne sais pas... parce que .tu changes... parce que tous les jours,
je te découvre.
     Pourtant
moi, je me suis habituée à toi.
     Oui,
mais les adultes, ça ne change pas. Alors que les enfants, ça
grandit sans arrêt.
    Elle
accepta l'explication sans conviction. Elle
a raison. Comment pourrais-je lui avouer que je l'ai appelée
Sophie uniquement parce que c'était le vrai prénom
d'Onze-heures-trente ? Sa
femme le savait-elle ? Il en doutait. Un des grands charmes de Sarah
était qu'on ignorait toujours ce qu'elle savait. Et
comment pourrais-je lui avouer qu'en l'appelant Sophie, je
m'attendais à voir progressivement pousser une petite
Onze-heures-trente ? La même, mais en plus petit. Or
Sophie ne ressemblait qu'à elle-même, ce qui était
fort réussi car, malgré ses cinq ans, elle avait déjà
quelque chose de profondément féminin, une réserve,
un mystère qui annonçaient, plus qu'en esquisse, la
femme qu'elle serait.
     Adolf,
je suis vraiment inquiète.
    Sarah
l'avait pris à part et l'emmenait au fond de la boutique.
     Pourquoi,
ma chérie ?
     La
situation politique. Tu sais bien qu'ici, j'entends tout. A cause de
mes clients qui sortent du ministère, je sais les événements
avant même les journaux.
     Eh
bien ?
    — Je
crois que nous allons avoir la guerre.

    Maison
Brune, le 30 octobre 1938, deux heures trente du matin : les accords
de Munich étaient finalement signés. En l'absence de
tout représentant tchèque, on venait de dépecer
la Tchécoslovaquie pour donner à manger à
Hitler. Mussolini, Chamberlain et Daladier — soit l'Italie, la
Grande-Bretagne et la France — s'étaient penchés
sur le cadavre pour calmer la faim de l'ogre et lui tendre les
meilleurs morceaux.
    Hitler
était pourtant furieux. Il voulait toute la Tchécoslovaquie,
fut-ce au prix de la guerre. Or on l'avait contraint à
négocier.
    De
retour à Berlin, l'accueil triomphal que le peuple lui fit
acheva de le mettre de mauvaise humeur : l'euphorie des Allemands
exprimait surtout le soulagement d'avoir évité la
mobilisation. En Hitler, ils fêtaient le chef nationaliste qui
leur rendait le territoire des Sudètes, certes, mais surtout
le sauveur de la

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