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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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fini par s'écrouler
devant son verre de blanc matinal, ne lui avait laissé que des
douleurs, des haines, des blessures. Au-dessus de lui, plus grosse
qu'une montgolfière qui l'aurait plaqué sur le divan,
rôdait de nouveau la vieille tête haïe,
insoutenable, inquiétante. Cette face rougeaude aux sourcils
bas et colériques, ces moustaches excessives, à la fois
longues et clairsemées, qui descendaient en pyramide du nez
jusqu'aux artères du cou, affichant sempiternellement une
grimace de mauvaise humeur. Il réentendait la voix hurler
après lui, il ressentait les gifles des ceintures sur sa peau,
il retrouvait la solitude de son petit corps, roulé en boule
sous les coups, au pied d'une porte fermée derrière
laquelle sa mère pleurait en suppliant son mari d'arrêter.
Il tenait de nouveau la hache avec laquelle il avait voulu tuer ce
père lorsqu'il avait, une fois de trop, frappé sa mère.
Une nouvelle fois, il repoussait cet homme trop lourd, trop compact,
trop aviné, qui, après avoir crié, tempêté,
insulté, venait maintenant presser son fils chéri
contre sa grosse poitrine pour lui parler, en larmoyant de joie, de
son proche avenir dans l'administration. Il frissonnait encore sous
le fouet de la remarque cinglante :
« Artiste ? Aussi
longtemps que je vivrai, jamais ! » Il se revoyait lui, Adolf,
dans le grenier froid, avec l'envie de se pendre. Il renouait avec la
joie féroce qu'il avait éprouvée au-dessus du
misérable cercueil, cette boîte d'acajou qui se taisait
enfin, tandis que lui, Adolf, tenait sa mère dans ses bras, sa
pauvre mère qui regrettait tout de même son bourreau, sa
mère sanglotante qui ne comprenait pas qu'elle éprouvait
enfin la délivrance. Adolf dut résister à cette
déferlante d'émotions — émotions passées
mais si peu — afin de, au crible, attraper une ou deux images
heureuses, une expédition en bateau sur la rivière, un
après-midi à ramasser le miel des ruches paternelles.
Savez-vous
de quoi votre mère est morte ? se contenta d'enchaîner
le docteur.
Oui.
D'un cancer.
    Il
a la gorge serrée. Seul son orgueil d'homme lui a permis de
répondre à cet insupportable questionneur. L'enfant en
lui recommence à souffrir. Il craint que les larmes ne
viennent le ravager.

était-il situé, ce cancer ?
    Adolf
ne répond pas. Le voudrait-il, il ne le pourrait pas. Son
visage ruisselle de larmes lourdes et salées, ses lèvres
sont engourdies, il cherche son souffle.
Le
savez-vous ?
    L'insistance
froide du médecin le bouleverse encore plus. Il essaie de
répondre mais, incapable d’articuler, il s'entend
pousser des cris de corbeau.
    Le
docteur Bloch s'est précipité près d'Adolf et
lui a saisi affectueusement la main. Effrayé par les
convulsions du garçon, il décide de répondre à
sa place.
Madame
Hitler est morte d'un cancer du sein.
Je
ne veux pas que ce soit vous qui me le disiez mais lui. Retournez à
votre place.
    La
voix est froide, chirurgicale, précise. Une seringue.
    Le
docteur Bloch bat en retraite et la voix reprend :
Dites-moi
de quoi est morte votre mère ?
    Les
tremblements secouent le corps d'Adolf : on dirait qu'il grille sur
la poêle du divan. Il veut répondre au spécialiste,
il l'a décidé, il y arrivera, ce sera très
difficile mais il ne peut plus reculer.
D'un
can... d'un cancer de la poi... poitrine. Que s'est-il passé
?
    Un
apaisement fond sur lui. Il se détend au point de devenir
liquide. Il se sent épuisé, soulagé. Son corps
lui fait du bien, dans tous les angles de ses os, dans les moindres
recoins de sa peau.
    Le
docteur Freud est apparu, souriant, au-dessus de lui. Une certaine
bonhomie semble éclairer ce visage austère.
Enfin
! Je suis content. Au moins, vous m'aurez dit quelque chose de vrai
au dernier moment.
    Quelque
chose semblait avoir pris fin. Les deux médecins étaient
passés dans la pièce voisine en discutant paisiblement.
    Adolf
comprit qu'il pouvait se relever. Quoique vêtu, il avait
l'impression qu'il était en train de se rhabiller, les pieds
ballants, un peu sonné.
    Il
rejoignit les deux hommes.
Alors,
docteur, quel médicament dois-je prendre ?
    Les
deux hommes sourirent puis le docteur Freud se ressaisit le premier
et fronça les sourcils.
Il
est encore trop tôt pour le dire. Nous devons encore parler
pendant quelques séances.
Ah
bon ?
Je
ne crois pas qu'il vous en faille beaucoup.
    Ah...
    D'après
le visage réjoui du docteur Bloch, ce devait être une
bonne nouvelle. Adolf, lui, se

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