La Part De L'Autre
photographies de dix mètres sur dix,
les générations à venir. Il songea à
l'émotion des petits enfants allemands à qui, pour la
première fois, dans une salle ensoleillée qui sentirait
bon l'encre et la colle aux amandes, leur instituteur raconterait la
belle histoire d'Hitler, il se voyait vivre dans leur cœur pur
et impressionnable. Il entraperçut la force que les
adolescents, pendant des siècles, puiseraient dans sa volonté
farouche, ce destin tendu comme un arc depuis le premier jour
jusqu'au dernier. Oui, il fallait que sa vie fût conclue par un
suicide, une mort décidée, car tout, dans son
existence, avait été le produit de sa volonté.
Volonté ! Volonté ! Mort incluse !
Lorsque
le disque s'acheva, Hitler était déjà amoureux
de sa mort.
Eva
Braun gisait à ses genoux, implorante.
Je
reste. Je veux mourir avec toi.
Le
premier réflexe d'Hitler fut de refuser. Non,
tu ne vas pas me voler ma mort. Une belle sortie que je suis en train
de m'organiser et toi, tu veux déjà m'en piquer les
miettes ?
Il
se pencha et la découvrit, belle, jeune, lumineuse. Elle était
brune, ce jour-là, car la pénurie des industries
chimiques ne permettait plus de trouver son décolorant blond.
Elle lui sourit, frissonnante.
Adolf,
je veux mourir auprès de toi.
L'image
entra comme une fulguration : les deux amants endormis l'un
auprès de l'autre, Tristan et Iseult. Oui. Une nouvelle dorure
pour la légende. Adolf et Eva, les amants héroïques
et éternels. Adolf et Eva, comme Roméo et Juliette ou
Tristan et Iseult.
Oui.
Tu mourras auprès de moi.
Merci,
Wagner.
Je
suis heureuse, Adolf. Tu ne m'as jamais autant comblée.
Adolf
grimaça. Il préférait ne plus penser au passé,
aux scènes constantes, aux reproches, aux humiliations qu'il
lui avait fait subir. Tout repartait de zéro. Au fond, pour
lui, leur histoire commençait aujourd'hui. Oui. Il n'avait
jamais accepté que le public connût Eva Braun, il
l'avait maintenue cachée mais il allait rendre sa liaison
officielle. Le Führer entrait dans le silence de la mort avec
une jeune beauté amoureuse à ses côtés.
Magnifique.
Veux-tu
m'épouser ?
Eva
Braun crut avoir mal entendu.
Eva,
je te demande si tu veux m'épouser ? cria Hitler, qui
braillait toujours depuis l'éclatement de ses tympans.
Les
yeux d'Eva se mouillèrent : il lui proposait enfin ce qu'elle
lui avait demandé cent fois et qui avait occasionné
toutes leurs disputes. Elle s'abattit sur le sol en sanglotant.
Eva,
je t'ai posé une question que je n'ai jamais posée à
personne. J'aimerais une réponse.
Eva
se précipita sur lui pour l'embrasser éperdument.
Mais
oui, mon amour. Bien sûr que oui. C'était mon rêve
le plus cher. Je te l'ai toujours demandé.
Elle
le couvrait de baisers, ce qui rendait Hitler nauséeux mais,
vu la circonstance, il se retint de la repousser.
Es-tu
heureuse ?
C'est
le plus beau jour de ma vie.
Très
bien. Alors nous nous marions ce soir et nous nous suicidons demain.
Il
se leva pour contraindre Eva à arrêter ses effusions et
se dirigea vers le coffre-fort.
Je
dois brûler des papiers.
Bien,
mon amour.
Appelle
donc mes secrétaires et organisez ensemble la cérémonie
de ce soir.
Eva
n'arrivait toujours pas à croire à ce revirement.
Adolf,
je voudrais quand même savoir...
Comment
? hurla Hitler qui n'entendait rien.
Je
voudrais savoir...
Quoi
?
Pourquoi
maintenant ? Pourquoi m'accordes-tu aujourd'hui ce... grand honneur
que tu m'as toujours refusé auparavant ?
Par
cohérence.
Par
?
Par
cohérence. Je t'ai toujours dit : tant que j'ai un avenir
politique, j'exclus le mariage. Je n'ai plus d'avenir donc je
t'épouse.
Eva
Braun se demanda quelques secondes comment elle devait accueillir
cette étrange demande en mariage, mais, comme elle n'en avait
jamais reçu d'autre, elle décida qu'elle était
la femme la plus heureuse du monde.
En
voyant flamber les documents qu'il extrayait de son coffre, des
papiers concernant sa fortune personnelle, l'organisation du
génocide, la destruction des églises chrétiennes
et quelques croquis anciens d'architecture, Hitler songea à sa
singularité.
« Comme
je suis différent. Tous, autour de moi, ne songent qu'à
sauver leur peau et leurs biens matériels. Moi, j'envoie tout
au feu. Quel désintérêt ! Noble. Tout est noble.
Et jusqu'au bout. Au fait, que dois-je décider pour
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