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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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Braun :
     Je
nous ai donné une journée de plus pour être ton
mari au moins vingt-quatre heures.
    Eva
Braun se mit à sangloter, elle qui était d'ordinaire si
gaie, et Hitler se surprit à la rejoindre dans les larmes.
    Le
lendemain, on lui téléphona que les soldats soviétiques
pouvaient atteindre le jardin de la chancellerie d'un moment à
l'autre.
    Hitler
endossa son uniforme, Eva sa robe bleue de mariée, et il
annonça qu'ils se tueraient aujourd'hui.
    Il
tint cependant à prendre son repas à treize heures,
comme d'habitude, parce qu'il avait faim. Au moment de la salade, il
songea à Georg Elser, son assassin, son double, l'Allemand
moyen qu'il tenait enfermé dans un camp ; il donna un coup de
fil pour qu'on le fît exécuter. La chose faite, il
mangea mieux.
    Son
dessert fut troublé par Magda Goebbels, qui, fort agitée,
implorait le Führer d'épargner ses enfants et de
convaincre son mari de changer d'avis.
    WMadame,
ce qui est dit est dit.
    Il
l'écarta de son chemin et alla se retrancher dans son bureau.
Eva Braun le rejoignit aussitôt.
    On
attendit derrière la porte. Goebbels, Bormann, Axmann, le
valet de chambre et d'autres membres du bunker tendaient l'oreille.
En vain. Le vrombissement du diesel couvrait tout, ainsi que les
joyeux cris des enfants Goebbels qui prenaient, sans le savoir, leur
dernier repas avec les secrétaires.
    Au
bout de dix minutes, le valet de chambre prit l'initiative d'ouvrir
la porte.
    Eva
Braun, affalée sur la gauche, dégageait une horrible
odeur d'acide prussique.
    Hitler
gouttait, sans vie, son pistolet à ses pieds.
    Il
était quinze heures vingt-neuf.

    Mon
cher Adolf H.,
    J'ai
été bien heureuse de vous revoir enfin ce dimanche, toi
et Sophie, après vos épreuves parisiennes. Plus que
tout, la tendresse que Sophie te marque me prouve qu'elle est sortie
plus forte de cette épreuve et qu'elle jugera peut-être
autant un homme sur ses qualités morales que sur son apparence
physique avant de s'engager. Enfin, c'est ce qu'espère ta
vieille sœur Lucie. Quant à Rembrandt et Sarah, il vaut
mieux qu'ils continuent à croire que la rupture-trahison
d'Heinrich se limite à toi. La vérité attendra
son heure ; pour toi qui n'as pas eu le choix, elle est arrivée
en avance sous la forme d'une crise ; pour eux, elle viendra en
retard, un soir d'été et de confiance, comme le cadeau
d'un moment partagé.
    Dans
cette atmosphère de retrouvailles, nous n'avons pas eu
l'occasion de parler d'Heinrich.
    Selon
moi, Caïn, Judas ou ton Heinrich ne sont pas des traîtres.
Ils sont d'abord des monstres, la traîtrise n'étant
qu'une des facettes de leur monstruosité.
    Qu'est-ce
qu'un monstre ? Un homme qui fait le mal à répétition.
    A-t-il
conscience de faire le mal ? Non, la plupart du temps. Parfois oui,
mais cette conscience ne le change pas. Car le monstre se justifie à
ses yeux en se disant qu'il n'a jamais souhaité le mal. C'est
juste un accident de parcours.
    Alors
que tant de mal se fait sur cette planète, personne n'aspire
au mal. Nul n'est méchant volontairement, même le plus
grand rompeur de promesses, le pire des assassins ou le dictateur le
plus sanguinaire. Chacun croit agir bien, en tout cas en fonction de
ce qu'il appelle le bien, et si ce bien s'avère ne pas être
le bien des autres, s'il provoque douleur, chagrin et ruine, c'est
par voie de conséquence, cela n'a pas été voulu.
Tous les salauds ont les mains propres. Moi qui ai été
nonne-visiteuse dans les prisons de Prusse, je peux te le confirmer :
le salaud se regarde tranquillement dans la glace, il s'aime, il
s'admire, il se justifie, il a l'impression — tant qu'il n'est
pas mis en échec — de triompher des difficultés
qui arrêtent les autres ; il n'est pas loin de se prendre pour
un héros.
    Heinrich
est ainsi. Il ne considère que son intérêt et son
plaisir — c'est cela qu'il appelle son bien -— et rien,
sauf l'échec, ne l'arrêtera dans son mouvement. Il va
faire beaucoup de mal et beaucoup de beaux tableaux.
    Mais
Heinrich n'est qu'un malfaisant ordinaire. Il y a pire.
    Je
crois qu'il existe deux sortes de monstres sur cette terre : ceux qui
ne pensent qu'à eux, ceux qui ne pensent qu'aux autres.
Autrement dit les
salauds égoïstes et les
salauds altruistes. Heinrich
relève de la première catégorie car il met sa
jouissance et sa réussite au-dessus de tout. Cependant, si
néfaste soit-il, il ne le sera jamais autant qu'un malfaisant
de la seconde

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